Il est encore tôt, très tôt, en ce samedi matin. Par les fenêtres grandes ouvertes, le chant des oiseaux résonne dans un Phnom Penh encore calme. Un calme qui contraste avec l’excitation qui s’est emparée de la maisonnée, chacun, encore mal réveillé, courant confusément dans tous les sens afin de boucler les derniers préparatifs du grand départ.
Destination Siem Reap
Il faut dire que depuis le temps que notre famille n’a pas voyagé, ce long week-end à moins de 300 kilomètres de la capitale revêt des allures d’aventure et d’exotisme. Plus d’une année, déjà, s’est écoulée depuis notre dernier séjour dans la cité des temples. Des amis, des articles, des commentaires sur les réseaux sociaux nous ont laissé entrevoir plusieurs scénarios que nous nous apprêtons à vérifier de nos propres yeux. Que n’avons-nous pas entendu sur cette ville dans des discussions enflammées...
« Du « champ de ruines » à la naissance d’une smart city, du sinistre économique au « business (presque) as usual », tout le monde semble avoir une opinion bien tranchée sur la situation que traverse actuellement la ville »
Nous avons donc, depuis une semaine, préparé nos futures activités. Sophary, mon épouse, rêvait d’une séance photo dans les temples déserts, immortalisant à jamais notre petite famille. Pierre, du haut de son adolescence, s’était montré incroyablement convainquant pour nous persuader de l’amener au Wake Park.
Ni Sophary ni moi ne sachions à quoi pouvait bien ressembler un tel endroit, mais Pierre, des étoiles dans les yeux, nous répéta le récit enfiévré que lui avaient livré ses camarades de classe. Va pour le Wake Park...Kanya, indéfectible défenseuse de la nature, voulait voir de plus près les éléphants du sanctuaire de Kulen. Je voulais quant à moi découvrir enfin ces fameux villages flottants dans lesquels je n’étais encore jamais allé. Les mises en garde contre ces lieux particulièrement touristiques m’avaient jusqu’à présent dissuadé, mais après tout, l’occasion était peut-être venue de réviser mes a priori. Ce qui est sûr, c’est qu’au fur et à mesure que nous préparions le voyage, nous nous doutions que Siem Reap ne ressemblerait pas tout à fait à la ville fantôme que certains nous avaient décrite.
Départ
Une fois effectué un dernier tour de l’appartement pour vérifier que tout soit en ordre, nous rejoignons le taxi qui nous attend au pied de l’immeuble. Avec l’arrivée de Pierre et Kanya, les virées en bus à travers le pays, pittoresques mais peu confortables, avaient cédé la place à un meilleur standing. Calme, rapidité, climatisation, souplesse de l’itinéraire et tarif relativement bas pour ce genre de prestation, tout cela nous avait convaincus d’opter pour l’option taxi.
Tandis que nous nous éloignons de Phnom Penh, et comme à chaque fois que nous prenons la route pour une destination située hors de la capitale, je ne peux m’empêcher de penser à toutes les richesses dont ce pays abonde. Alors que le paysage défile, des envies de découvertes embrasent soudain notre imagination. La côte et ses endroits encore secrets restés à l’abri des promoteurs, les provinces à la nature exubérante, les temples reculés, les cascades, les petites pistes en terre battue…
Halte à Kampong Tom
En nous arrêtant à Kampong Thom, nous discutons brièvement, autour d’un café, de cette province encore trop méconnue. Et nous nous promettons de découvrir lors d’un prochain voyage les charmes de la campagne alentour, la beauté et la spiritualité du Phnom Santuk, ainsi que le complexe de Sambor Prei Kuk, constellation de temples pré-angkoriens datant du VIIe siècle.
En tout cas, Kampong Thom ne doit plus se résumer à une simple étape de mi-parcours entre Phnom Penh et Siem Reap : c’est sur cette conclusion que Sophary et moi finissons notre café et rappelons les enfants qui, ayant terminé depuis longtemps leur noix de coco, étaient partis se dégourdir les jambes dans la cour du restaurant.
Siem Reap enfin
Après cinq heures de route, nous ne sommes pas mécontents d’arriver enfin à Siem Reap. Direction le Sofitel, qui sera notre base durant le séjour. Le confort haut de gamme offert par l’hôtel, ses jardins ombragés ainsi que son immense piscine ne seront pas de trop pour nous aider à nous maintenir en forme.
Durant le trajet, les enfants ont peu à peu formulé de nouvelles requêtes, venues s’ajouter à la « liste des choses à faire ». Séduits et intrigués par ces initiatives, nous n’avons pas eu le cœur de les leur refuser, tout en nous demandant si nous pourrions mener tous ces projets à bien en un si court laps de temps. Dans l’immédiat, après s’être rafraîchis et avoir posé les bagages dans la chambre spacieuse, tout le monde s’accorde pour aller déjeuner.
Sophary et moi échangeons un petit regard complice lorsque sont abordés les centres de vacances. Toutes sortes d’animations, en plus de l’hébergement, sont régulièrement organisées pour tous les âges. Un séjour sur Siem Reap pour nos chères progénitures, qui pourraient ainsi profiter de la compagnie d’enfants de leur âge, nous laisse entrevoir la possibilité de passer quelques jours en tête à tête. Renseignements pris, nous nous promettons de songer à la chose pour les prochaines vacances, d’autant plus que Kanya et Pierre semblent conquis par une telle perspective.
IFC Wake Park
La chaleur un peu étouffante du début d’après-midi nous pousse dans le tuk-tuk, direction le Wake Park où les enfants, enchantés, pourront se défouler pendant une heure. Nous sommes curieux de découvrir à quoi ressemble ce lieu, même si Pierre s’était montré intarissable dans ses explications :
– Ça se passe sur un grand plan d’eau, et on fait comme du ski nautique, mais avec une planche. Les pieds attachés dessus, on attrape une poignée et là, ça tire super vite et c’est génial. On peut slalomer et tout, y’a des parcours différents selon ton niveau et des obstacles à éviter si on sait bien conduire la planche.
« Et on peut même faire des tricks, des tricks ? Ouais, des figures, quoi »
Un peu inquiets, nous nous consolons en songeant que ce sera toujours moins dangereux que le skateboard auquel s’adonne Pierre, et que les moniteurs du parc sauront canaliser son énergie débordante.
Une fois arrivés, ces derniers nous mettent en confiance et nous proposent d’assister aux premières tentatives de notre ado, qui fait soudain moins le malin. Une vidéo s’impose ! Kanya, plus portée sur la baignade, profite déjà de la plage de sable fin aménagée sur le plan d’eau. Nous prenons place, avec Sophary, autour d’un jus de fruits frais et dégustons ce petit moment de calme, profitant de l’instant présent rythmé par les cris de joie des enfants.
Retour et surprises
Sur le chemin du retour, nous demandons au tuk-tuk de nous déposer au pied de la grande roue d'Angkor Eye, qui était encore en construction lors de notre dernière visite. Tout autour, des petits commerces proposent pancakes, glaces, et toutes sortes de gourmandises dans une ambiance rappelant celle d’une fête foraine. Nous prenons place dans une nacelle climatisée et découvrons, à 85 mètres de hauteur, l’étendue de la ville, baignée par la lumière vermeille de fin d’après-midi.
Au loin, les rizières s’étendent à perte de vue avec, pour seules limites, le Grand Lac au sud et les monts Kulen au Nord-Est. Le « Waow ! » émis par les enfants nous prouve que nous avons fait le bon choix, nous-mêmes ne restant pas insensibles à la beauté du paysage et au romantisme de la situation. Quel que soit l’âge, un tour en grande roue revêt toujours un caractère un peu merveilleux.
La journée est déjà bien avancée lorsque nous rentrons à l’hôtel, et la nuit commence à tomber sur une ville que nous peinons parfois à reconnaître.
Programme
Nous décidons de profiter un peu de la somptueuse chambre du Sofitel, et de dîner à l’un des deux restaurants de l’hôtel. Levés depuis 5 heures du matin, la fatigue commence à se faire sentir, d’autant que la journée de demain s’annonce encore plus chargée que celle d’aujourd’hui. Au programme: temples en compagnie d’un photographe professionnel, promenade avec les éléphants, pique-nique dans la campagne cambodgienne et massage khmer. Nous discutons du programme en sirotant quelques cocktails tout en écoutant Diego et sa guitare, parfaite conclusion à ce premier jour dans une ville qui n’a pas fini de nous surprendre.
Au petit matin, branle-bas de combat dans la chambre encore endormie. Pas de grâce mâtinée aujourd’hui, il nous faut profiter de la fraîcheur matinale et, surtout, de son exceptionnelle clarté. Car cette demi-journée sera consacrée à une balade dans les temples en compagnie du photographe Régis Binard, qui saura trouver les endroits propices pour des clichés qui resteront à jamais dans les archives familiales. Pensez donc ! Des temples déserts, à mille lieues du tourisme de masse qui s’en était emparé, parcourus en compagnie d’un photographe qui les connaît comme sa poche : voilà une occasion rêvée et une incroyable chance à saisir.
Magie d'Angkor
Nous voilà donc, en l’espace d’un instant, en train de parcourir l’allée centrale d’Angkor Wat, prenant la pose parmi les apsaras et devatas ornant les murs, marchant main dans la main, suivant les directives discrètes mais assurées de Régis. Après des années passées à parcourir les temples, ce dernier nous guide parmi les recoins les plus secrets, propices à la réalisation de splendides images. Quant à la magie d’Angkor… Les enfants courent au milieu des vestiges et jouent à cache-cache, pendant que nous admirons ces monuments grandioses qui font assurément partie des plus majestueuses réalisations de l’humanité.
Une fois la session photo terminée, un peu sonnés par le soleil et la chaleur, la tête tournant légèrement face à cette profusion de chefs-d’œuvre, nous décidons de prendre congé et allons nous rafraîchir dans notre chambre. Kanya, elle, se montre de plus en plus impatiente et n’arrête pas de nous demander quand est-ce que nous partons.
Rencontre avec les éléphants
Et pour cause ! Dans une petite demi-heure, après s’être frugalement restaurés, nous serons en route vers la forêt des éléphants, située à quelques encablures du centre-ville, au pied des monts Kulen. C’est là qu’a trouvé refuge la douzaine de pachydermes qui transportaient loyalement les touristes dans l’enceinte des temples, une pratique qui a récemment été interdite. Profitant d’une retraite bien méritée, les éléphants coulent des jours paisibles, seulement distraits par la présence des visiteurs venus marcher à leurs côtés pour les admirer.
Et le mot n’est pas galvaudé, comme le prouve la réaction de Kanya, qui, des étoiles dans les yeux, nous avouera sur le chemin du retour que c’est le plus beau jour de sa vie. Près de 6 heures passées en compagnie de ces tendres mastodontes, couronnées par un pique-nique en leur présence, nous aurons donné à tous des souvenirs mémorables.
Au retour, les courbatures et la fatigue accumulée nous décident à nous offrir un petit moment de relaxation extrême. Nous laissons les enfants sous bonne garde à l’hôtel et optons pour une formule tonique chez Bodia, l’une des meilleures enseignes de massage du royaume. Il n’en fallait pas moins pour nous requinquer et nous voilà, à la sortie, comme flottant sur un nuage de bien-être.
Diner fusion et classe
Nous décidons de prolonger ce moment privilégié et de conclure la journée en beauté par un dîner au Malis, qui propose le meilleur de la gastronomie khmère. L’esprit et le corps remplis de soleil et d’images, nous nous attablons dans ce temple de la cuisine pour y déguster un menu qui couronnera nos vacances. Nous choisissons avec soin les plats élaborés par le chef Luu Meng, qui a su apporter une note personnelle et rafraîchissante aux spécialités cambodgiennes.
Sur notre table défilent, pour le plus grand plaisir de nos papilles, une salade de mangue verte et son poisson fumé, une soupe au moringa, des saucisses de Takeo, un délicieux Samlor Korko, un curry de poulet et un homard mariné dans une sauce aux épices et au prahok. Une certaine idée du bonheur.
Le lendemain, nous profitons d’une relative grasse-matinée et nous accordons un moment de farniente au bord de la piscine. Je jette tout de même de temps en temps quelques coups d’œil furtifs à la montre : dans une petite heure, un chauffeur nous conduira au bord du Grand Lac, à l’embarcadère, direction Mechrey.
Autre vie sur le lac
Ce paisible village flottant, qui semble se tenir à l’écart du temps, se gagne après avoir parcouru quelques miles en bateau. Cheveux au vent et large sourire sur le visage, nous croisons les embarcations des pêcheurs qui slaloment avec dextérité entre les jacinthes d’eau. Une autre vie se déroule sous nos yeux, loin, très loin de celle dont nous sommes coutumiers à Phnom Penh. Durant le parcours, notre guide explique les contraintes liées à la vie lacustre, mais aussi ses avantages pour des habitants qui demeurent pour la plupart attachés à ce mode d’existence. Après avoir dépassé la pagode, dernier monument en dur, nous voilà au milieu de ce qu’il convient d’appeler « l’avenue principale » de Mechrey.
Nous nous arrêtons au milieu des échoppes qui servent aussi d’habitations pour discuter avec les villageois et décidons de partager leur table pour un déjeuner en commun. Bientôt, un attroupement se forme, non pas pour profiter des touristes que nous sommes, mais pour échanger paroles et regards, la présence de citadins étant une chose assez exceptionnelle pour être remarquée. Nous regagnons ensuite notre embarcation pour une excursion sur le lac, toujours éclairés par notre intarissable guide. Nous pensons, le cœur un peu serré, qu’il nous faudra dès cet après-midi rentrer sur la capitale, mettant ainsi fin à ce fantastique weekend.
Siem Reap, la vie coule encore
Que penser de la « cité des temples » à présent ? Évidemment, Siem Reap est, incontestablement, une ville différente de celle que nous avons précédemment connue. L’ambiance n’est plus la même, les rideaux de fer sont tombés sur nombre de commerces, dont nous connaissions pour certains les propriétaires, et nous ne pouvons encore qu’imaginer les conséquences économiques et les coûts humains liés à cette pandémie.
Siem Reap ne vit pas exclusivement grâce au tourisme, mais cette dernière activité représente tout de même une grande partie des revenus de la ville et de sa province, beaucoup plus qu’à Phnom Penh. Pourtant, la vie coule encore dans les rues, dans les marchés, dans les nombreux cafés fréquentés par les étudiants, dans les restaurants… Étrange sensation dont nous débâtons quelques temps avec Sophary, tâchant chacun d’imaginer à quoi pourra bien ressembler la ville lorsque nous y reviendrons.
Et nous y reviendrons certainement plus vite que prévu, pour profiter des temples, de la nature environnante, des promenades le long de la rivière, et de tellement d’autres activités qui se sont ajoutées à la liste que nous avions commencée avant notre séjour. D’abord hésitante et incertaine, cette liste a peu à peu rempli une, puis deux pages, et n’est certainement pas terminée. Siem Reap, qu’y faire à part les temples ? La, ou plutôt les réponses s’avèrent aussi nombreuses que variées. Alors à très bientôt, Siem Reap, pour un nouveau séjour qui sera lui aussi, à n’en pas douter, rempli de multiples et agréables surprises.
Crédit photographique : Rémi Abad, Malis Siem Reap, Sofitel, Bo Nielsen, Christophe Gargiulo, Bodia
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