« Tout le monde le dit, c’est un bel objet qui permet de renouer avec l’histoire », s’exclame Bernard Cohen, le consultant français à l’origine de la récente publication du livre « Culinary Art of Cambodia – Art culinaire du Cambodge », splendide ouvrage répertoriant plus de 300 recettes khmères publiées à l’origine par la princesse Norodom Rasmi Sobbhana dans les années soixante.
Projet
Commencé en 2019, le projet a été mené avec la collaboration de nombreux bénévoles, de la famille royale et d’experts avant d’aboutir à la réalisation d’un livre de 184 pages proposant plusieurs approches : le contexte historique, les recettes et menus en anglais et en khmer. Le recueil de recettes en khmer a été révisé par la princesse elle-même et publié à l’époque dans plusieurs numéros du « bulletin mensuel de documentation », publication supervisée par feu le roi-père lui-même).
Entretien
Pour Cambodge Mag, Bernard Cohen, consultant indépendant et fondateur d’Angkor database, une ressource en ligne compilant un grand nombre d’informations et de ressources documentaires sur Angkor et la civilisation khmère, a accepté de répondre à quelques questions sur ce travail de documentation.
CM : Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Le propriétaire de l’hôtel Templation, Veasnu Kru, m’a posé un jour la question de savoir s’il était possible de travailler sur le livre de cuisine publié il y a 60 ans par la princesse Norodom Rasmi Sobbhana, dont le titre exact était « Samdech Preah Reach Kanitha Norodom Reaksmey Sophoan ». J’ai donc commencé mes recherches et j’ai donc retrouvé une copie de l’édition de 1960.
En travaillant sur l’ouvrage et en effectuant des recherches sur la princesse Sobbhana, je me suis rendu compte qu’il y avait eu dix ans après une nouvelle publication de son ouvrage en langue khmère avec des recettes quelque peu différentes. Je me suis dit qu’il fallait combiner les deux versions.
C’était réellement un travail d’histoire, j’estime avoir travaillé sur un livre d’histoire, pas seulement de cuisine. Comme je l’ai déjà expliqué à la presse locale, ce livre doit être considéré comme un précieux moyen de raviver aujourd’hui le souvenir des mœurs culturelles de l’époque du Sangkum Reastr Niyum, une période de créativité remarquable, dynamisée par l’optimisme et l’énergie d’une nation qui embrassait enfin son indépendance.
CM : Comment avez-vous organisé votre travail ?
Pour mes recherches, j’ai rencontré beaucoup de monde et effectué pas mal de recherches en ligne. Julio Eldres m’a apporté une aide précieuse également. La princesse Marie, en tant que belle-fille de Samdech Kanitha, a gardé vivante la mémoire de la défunte princesse et nous a beaucoup aidés dans ce travail. C’est d’ailleurs la princesse Marie qui nous a gentiment prêté la photographie utilisée pour la couverture de l’ouvrage. Le prince Sisowath Tesso a également apporté une contribution inestimable à ce projet, qui s’inscrit dans le droit fil de ses propres efforts pour préserver l’héritage culturel du Cambodge avec le Ballet royal et l’enseignement des arts du spectacle ancestraux aux jeunes générations.
« Au-delà de l’aspect historique et culinaire, cet ouvrage est aussi un livre sur la princesse elle-même, je l’ai bien senti durant mes entretiens avec ceux qui l’ont connue. »
Chacun donnait beaucoup d’importance à la contribution de la princesse Sobbhana dans la société cambodgienne de l’époque. L’héritage de la princesse Rasmi Sobbhana est palpable dans le domaine culinaire, mais il se distingue également par le dévouement de Son Altesse Royale à de nombreuses causes sociales, en particulier l’émancipation des femmes.
CM : Quels sentiments en découvrant la cuisine royale du Cambodge ?
Autre point intéressant, beaucoup de gens parlent de cuisine royale cambodgienne, mais en fait, si la princesse s’occupait beaucoup de cuisine au Palais Royal, elle a commencé ce travail de collecte de recettes traditionnelles dans un souci de pédagogie et de transmission du savoir.
« Il est important aussi de préciser qu’au Cambodge, il n’existe pas de cuisine royale strictement codifiée et distincte des habitudes culinaires des gens ordinaires comme cela existe en Thaïlande ou au Japon. »
J’explique dans l’introduction du livre que la cuisine qui est servie au Palais Royal met l’accent sur la présentation et prend en compte les goûts personnels des souverains. Par exemple, le Prince Sihanouk n’appréciait guère le Prahoc et il y a donc très peu de recettes sur ce plat dans l’ouvrage. Beaucoup de recettes répertoriées reflètent probablement les goûts particuliers du défunt Roi Père qui n’aimait pas non plus les plats très épicés.
Tous les spécialistes m’ont confirmé que les plats proposés par la princesse contiennent moins d’épices que les plats d’aujourd’hui. Cela s’explique aussi historiquement car après la guerre civile, l’influence de la Thaïlande, pays qui mange très épicé, a provoqué plus d’engouement au Cambodge pour les « plats forts ».
L’une des sœurs qui m’a aidé dans ce projet m’a déclaré au sujet de la cuisine servie au palais :
« Ce qui est royal, c’est le temps de préparation »
En fait, c’est extrêmement minutieux et la préparation nécessite plusieurs équipes de chefs et sous-chefs. Pour donner un exemple de minutie, les cacahuètes destinées à une préparation culinaire ne sont pas pilées, mais coupées au couteau pour une meilleure diffusion de l’huile.
CM : Combien de temps aura duré le projet, et combien d’exemplaires disponibles ?
Entre la recherche, la sélection des recettes, les dégustations et les travaux d’impression, le projet aura duré deux ans au total.
5000 exemplaires ont été financés par le propriétaire de Templation. La moitié d’entre eux sont destinés à la fondation Sobbhana et pour la pagode. Pour l’instant, nous avons une vingtaine de dépôts-ventes au Cambodge. Nous avons également beaucoup de demandes à l’international et malgré les difficultés liées aux coûts du transport, nous avons pu mettre en place quelques dépôts au Canada, en Californie, en Angleterre, en Australie et en France.
CM : Quel prix et quelle distribution ?
Le prix public conseillé est de 21 dollars US. Mais, il ne s’agit pas d’une opération lucrative. L’objectif est de contribuer à la préservation et à l’enrichissement de l’héritage culturel du Royaume, et d’aider les nouvelles générations à prendre conscience du savoir-faire et des valeurs de leurs ancêtres. De plus, toutes les recettes de la première édition sont reversées à la Fondation Sobbhana.
Aussi, je préciserai que le ministère de la Culture et des beaux-arts, ainsi que le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, ont récemment lancé une campagne mondiale de promotion de la cuisine cambodgienne intitulée « Food Diplomacy 2021–2023 » et ont rapidement découvert que ce livre de cuisine se trouvait parfaitement adapté à leurs objectifs.
Enfin, pour moi, il est tout à fait logique aujourd’hui — en ces temps d’urgence de santé publique et d’inquiétude permanente — de commencer à mettre en valeur le régime cambodgien, qui met l’accent sur les produits frais, les ingrédients à faible teneur en glucides et les racines rurales.
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