Le film de guerre ressemble aujourd’hui à un genre usiné soit à coups de gros budgets hollywoodiens surchargés de pyrotechnique, effets 3D, tripaille abondante et bandes-sons qui vous propulsent dans la jungle hostile en quelques notes ; soit à coups de production à la va-vite ou l’on dézingue un maximum en 1 h 30 chrono avec un minimum de dialogue, quelques stars périmées et une sortie directe sur les plateformes de streaming les plus médiocres. Onoda en est loin, très loin.
Contexte comparatif
Avec Onoda, le réalisateur français Arthur Harari, auteur du film Diamant noir (2016), et encore peu connu sous nos latitudes, choisit de porter à l’écran l’histoire incroyable de ce soldat japonais qui refusa d’admettre la fin de la guerre du Pacifique et organisera sa propre « résistance » contre les forces alliées dans la jungle de l’île de Lubang (Philippines) et qui ne se rendra qu’en 1974, près de trente ans après la défaite japonaise. Tout du sujet casse-gueule d’autant que l’histoire et son épilogue sont déjà connues, que l’action tient en trois lignes et que les films de guerre mettant en exergue les tragédies collectives ou individuelles ont déjà donné lieu à quelques œuvres majeures définitivement ancrées dans l’histoire du film de guerre « psychologique ».
Et, oui, en choisissant de traiter l’absurde, la tragédie et le destin pathétique de ce soldat totalement accroché aux dernières paroles de l’officier qui le recrutera, l’audacieux cinéaste français engage un sacré pari d’autant qu’il subira forcément quelques comparaisons difficiles. Les cinéphiles n’oublieront jamais ces films qui ont sublimé la lutte de l’individu face à une réalité absurde en temps de guerre (et après-guerre ou fausse guerre dans le cas présent).
Ainsi, les images hallucinantes, et totalement novatrices à l’époque, du capitaine Willard à la recherche du colonel Kurtz dans la jungle cambodgienne restent indélébiles par leur violence quasi poétique et une photographie hors du temps. Rajoutant à cela d’autres sommets du 7e art sur le même sujet proposés, il y a bien longtemps, par les virtuoses Oliver Stone, Mickaël Cimino et Stanley Kubrick. Autant de cinéastes qui avaient choisi l’obscurité, la violence et parfois l’abject avec génie pour renouveler un genre et photographier la noirceur des âmes dans un cadre de douleur quasi-palpable, lourde et permanente.
C’est dans ce contexte qu’Onoda suscite la curiosité, suggère beaucoup de questions : sera-t-il influencé par ses illustres aînés, quel angle va-t-il aborder ? Le long de ses presque trois heures, va-t-il nous proposer un chef-d’œuvre ou simplement un exercice de style exotique et esthétique, va-t-il tenter de nous faire comprendre l’absurdité de la situation de ce soldat scotché à la guerre ?
Aussi, Arthur se trouve en terre cambodgienne, son film est co-produit par le Franco-Cambodgien Davy Chou — à l’actualité cinématographique débordante de bonnes nouvelles et Onoda est tourné dans la campagne de Kampot… autant dire que le film est plus qu’attendu et qu'une légère ambiance de chauvinisme risque de flotter dans la salle lors de la première.
Le film
Sans surprise, ou presque, Onoda évolue lentement dans l’histoire de son personnage principal. Les premiers plans rassurent, la photographie est soignée, les plans serrés comme on les aime abondent, les dialogues (en japonais sous-titré en anglais) sont suffisamment denses, mais intelligemment dosés pour comprendre la mission du jeune soldat. En fait, le film commence par sa « presque fin » alors qu’un jeune japonais (Taiga Nakano) se rend dans l’île et installe un campement à partir duquel il tentera d’entrer en contact avec le dernier soldat en activité de la guerre du Pacifique.
Le réalisateur nous présente ensuite rapidement Onoda (interprété dans sa jeunesse par Yuya Endo, puis par Kanji Tsuda) comme un kamikaze raté qui erre et s’enivre et dont la vie va changer alors que le major Taniguchi (Issey Ogata) le recrute pour une mission à laquelle Onoda et ses hommes ne doivent jamais renoncer.
En retour, le major promet que ses hommes ne seront jamais abandonnés. À l’inverse des fameux kamikazes japonais qui devaient combattre jusqu’à la mort et ne surtout pas tomber aux mains de l’ennemi, quitte à se suicider, ces jeunes recrues devront « rester vivantes » coûte que coûte.
Ce sont ces directives et promesses du major qui alimenteront jusqu’au paroxysme la foi d’Onoda et l’aideront à survivre dans la jungle, en groupe puis seul. En effet, après que l’armée américaine eut décimé les forces sur l’île de Lubang, Onoda devient le chef d’un groupe de quatre soldats survivants.
Fort de sa foi, le groupe attend le retour du major, affrontant la chaleur, l’humidité, les pluies, la faim et l’hostilité des paysans locaux.
À cela s’ajoutera ensuite la solitude alors que ces compagnons de survie disparaissent les uns après les autres, deux seront tués et un autre s’enfuira du campement de fortune. Enfin, en 1974, un jeune japonais retrouve Onoda qui refuse de le suivre. Le « touriste » parvient à amener Taniguchi, devenu un vieux libraire, dans la jungle pour ordonner à Onoda de déposer son arme et de repartir au Japon.
L'image et l'image
Et oui, l’action n’est pas dense, et les personnages peu nombreux. Harari aurait pu tomber dans un peu plus de facilité en utilisant les astuces « tiroirs » surexploitées dans bon nombre de productions. Le tiroir est une technique consistant à créer une seconde intrigue dans le récit principal et donner ainsi une dynamique supplémentaire.
Il n’en est rien et le Français livre un récit totalement et habilement centré, voire concentré sur son personnage principal en utilisant l’image et l’image. Onoda ne livre jamais réellement ses impressions, ne pleure pas, n’exprime que peu de sentiments en dehors de l’exaltation procurée par l’intention aveugle de suivre jusqu’au bout les ordres du major. Et cela, Harari ne l’explique pas, il le montre brillamment à coups de plans serrés et de visages superbement photographiés, alternés avec des scènes fortes qui seraient probablement dérisoires dans un autre contexte. La découverte de la mer, les disputes, les scènes de rivière, les altercations avec les villageois sont autant de jalons subtils dans la construction d’un récit ordinaire, mais absurde et intense. En cela, le réalisateur français remplit merveilleusement son contrat en parvenant à rendre trois heures de récit totalement passionnantes, mais aussi denses de couleurs et d’émotions.
Détails
On remarquera ces travellings de la jungle un peu saccadés qui donnent au film un petit parfum éphémère de ciné d’aventures genre seventies… intentionné ou pas ?
Détail volontaire ou pas, mais plein d’ironie : le temps passant, alors qu’Onoda éprouve, après la découverte d’un journal, de plus en de plus de mal à convaincre son groupe — et probablement lui-même — que la guerre sévit toujours, il est tentant d’y voir une similitude avec notre temps ou pas mal d’informations sont déformées afin de coller avec des points de vue préexistants. Aussi, lorsque la famille d’Onoda tente de l’appeler avec un porte-voix et l’exhorter à se rendre, cela ne fait que le convaincre davantage de l’intelligence sournoise de l’ennemi...
Pour sa conclusion, le cinéaste évite une seconde fois la facilité. Onoda, vieux et noyé d’incompréhension — superbe performance quasi muette de Kanji Tsuda — franchit une petite foule de villageois et officiels pour embarquer dans un hélicoptère et quitter définitivement cette île ou il aura survécu près de trente ans en attendant les ordres du major.
La suite de l’histoire s’avère tout aussi incroyable et le Français aurait pu exploiter cela. Non, son récit s'achève à la fin d'un voyage sans fin d’un homme englouti par la jungle et sa détermination à survivre pour servir son pays.
Harari donne une authentique et superbe leçon d’histoire, il est probable que son film soit très proche de la réalité. Il donne aussi une véritable leçon de cinéma, le pari était très risqué, il l’a réussi. Bravo.
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