Jean Benoit est un designer de mode basé à Phnom Penh qui pose un regard plein d’anecdotes et de second degré au travers de quelques chroniques qu’il a commencé à écrire depuis 2009. Un peu chahutée au début, la plume du créateur de ”Vivre au Cambodge” est devenue mature, plus drôle et parfois plus affûtée, surtout lorsqu’il s’agit de poser un regard sur ses compatriotes et leurs, parfois, très gros, sabots quand ils viennent en amis d’amis à Phnom Penh.
Chronique
« JB, j’ai ma super amie de Marseille qui fait le tour de l’Asie et elle sera à Phnom Penh dans un mois. Je peux lui laisser ton contact ? »
Quoi de meilleur lorsque l’on voyage, d’avoir quelqu’un sur place, une personne qui va nous montrer la crème de la ville en moins d’une semaine ? Parmi ces amis de passage, trois catégories se démarquent. Ils arrivent. Souvent en couple, parfois en famille. Après avoir fait de nombreux pays d’Asie, c’est au tour du Cambodge de les accueillir. C’est toujours avec grand plaisir que je fais découvrir mon Phnom Penh aux invités de passage.
Sympathiques, emmerdeurs, curieux, paranoïaques ou fous, petit tour d’horizon de ces gens de passage.
Les chiants
À l’aéroport, j’ai un peu du mal à les trouver. Je cherche un couple en provenance de Bangkok. Ils sont tous les deux employés du tertiaire. Je cherche. « Jean-Benoît ? ». Deux personnes habillées en randonneurs me sourient.
Moi : « Oui ? ». Et merde, ils ont des chaussures de montagne et des bouteilles d’eau. Les chaussures traduisent qu’ils ne sont pas la pour faire la fête, et qu’ils ont prévu de boire de l’eau. J’appelle un taxi,
« Oh ben non on va prendre un tuktuk »
Génial, on va se taper quarante minutes de poussière, de pollution et de soleil. Ils sont aux anges. Le séjour va se rythmer de « Oooooooh, la petite fille qu’elle est mignonne ». La petite fille en question, c’est celle qui se fait exploiter par une mafia locale en vendant du jasmin au carrefour.
« Tiens, voici 5 $. Et n’oublie pas d’aller à l’école »
J’explique alors qu’il ne faut jamais donner d’argent aux enfants, car cela les maintient dans la pauvreté. « JB ! Ne sois pas malthusien. La pauvre petite fille. Il faut les comprendre. ». Oui, oui, il faut les comprendre, pourquoi aller à l’école alors qu’en faisant des yeux de chien battu le blanc te donne 5 $ au feu rouge ? Le guide du Cambodge à la main, ils viennent d’arriver, ils ont déjà tout compris au Royaume, heureusement, ils ne restent que trois jours.
Les fans
« Yeaaaaaaaaah ! Phnom Penh ! ». Ils n’ont pas encore eu la tourista, mais ils adorent déjà. Eux, c’est des amis d’amis de Paris qui sont là pour quatre jours et qui ne veulent rien rater. Pourquoi je vis ici, comment j’occupe mes journées, si j’ai des amis cambodgiens ? Ils veulent tout savoir :
« On fait comme tu veux JB »
Mes amis d’amis veulent vivre et ressentir le Cambodge à travers Phnom Penh. Les marchés, les musées pour touristes et les amputés, c’est fait en une journée. Eux, ils veulent rencontrer les artistes locaux, aller aux grosses soirées de la capitale, parler à ceux qui font Phnom Penh et manger dans les meilleurs restaurants.
Mais attention, il faut aussi rentrer à Paris avec une jolie peau. Alors une après-midi piscine minimum durant l’escale. Phnom Penh, c’est génial, et ils reviendront.
Les formatés
Le service de l’hôtel laisse à désirer. En effet, l’espresso était trop allongé et il n’avait pas de cuillère. Elle, elle n’a jamais pu savoir si le saumon qu’elle a mangé était d’élevage ou sauvage. La climatisation est beaucoup trop forte dans le taxi.
C’est pourtant évident que la bonne température doit être de 24 degrés. Les pauvres ont beaucoup d’enfants, et ils mangent dans la rue, c’est sale. Et puis il n’y a rien pour faire du shopping, comment dépenser son argent dans ce cas ?
« Qu’est-ce qu’on va ramener comme cadeaux ? Il fait trop chaud au marché. Pas de théâtre et la sélection de films au cinéma ressemble à un multiplex de province »
Tiens, il n’y a pas de trottoirs. Les gens vivent dans leur garage ? Quel dommage ces maisons coloniales non entretenues qui tombent en ruine. Vraiment, c’est incompréhensible. En effet, Phnom Penh est parfois incompréhensible si on ne prend pas la peine de déconnecter son cerveau de ses critères européens.
Enfin
Ce que je préfère, c’est cette phrase d’adieu, ponctuée d’un :
« Dommage qu’on ne soit resté que trois jours à Phnom Penh »
Quand les amis d’amis deviennent des amis. Phnom Penh, ce n’est pas encore la ville de demain, mais c’est une capitale unique et une vie rêvée. Oubliez ces affiches de métro où l’on vous fait fantasmer sur une colonie perdue, arrêtez de chronométrer chaque journée de votre séjour, mettez de côté les clichés sur les Asiatiques, ne passez pas à côté de vos vacances, bref, ne soyez pas revenu avant même d’être parti.
Jean-Benoit Lasselin — Vivre au Cambodge
Comentários