Le royaume célébrera demain, samedi 9 novembre 2024 le 71e anniversaire de son indépendance vis-à-vis de la puissance coloniale française.
Comme Norodom Sihanouk se plaisait à le rappeler souvent, cette indépendance qu’il obtint de la France fut le fruit d’un long processus enclenché en 1946 et marqué par des négociations parfois difficiles avec les autorités du protectorat.
Dans un article paru dans l’hebdomadaire Réalités Cambodgiennes fin 1958, et publié à nouveau dans une brochure éditée par le palais intitulée » L’action royale pour l’Indépendance du Cambodge 1941 – 1995 », Norodom Sihanouk analysait le contexte dans lequel il engagea son combat en faveur de l’indépendance :
« … Quelques personnes sont mes ennemis, soit parce qu’appartenant aux partis d’opposition, soit parce que ma politique de neutralité et d’amitié avec des pays tels que la Chine populaire leur déplaît souverainement »
« Elles croient devoir écrire, proclamer et répéter sans cesse que j’ai usurpé le titre de Père de l’Indépendance cambodgienne. Je souligne ici que je n’ai jamais sollicité ni revendiqué ce titre, contrairement aux allusions malveillantes de gens tels que l’Américain Martin F. Herz, ancien membre de l’ambassade des USA, dans son livre « A Short history of Cambodia ».
« Ce titre m’a été donné par mon peuple. Il ne m’intéresse pas de l’avoir ou de le perdre, ce qui m’importe, c’est d’être en règle avec ma conscience de patriote, de Roi, responsable des destinées de sa Patrie, et d’avoir accompli mon devoir sans défaillance ».
La colonisation française (1863-1953)
En 1863, le roi Norodom signe un accord avec la France qui établit un protectorat sur le royaume et intègre progressivement le pays dans son empire colonial. La mainmise de la France sur le Cambodge s’inscrit dans le processus de colonisation des trois pays, Vietnam, Laos et Cambodge qui forment pendant un peu moins d’un siècle l’Indochine française. Dès 1862, la France impose un traité au Vietnam qui lui cède Saïgon, la Cochinchine orientale, ainsi que ses droits sur le Cambodge.
Le régime du protectorat réserve à la France les relations étrangères et donne droit aux citoyens français de s’installer et de commercer librement dans tout le royaume. En 1867, en échange de la reconnaissance par le Siam du protectorat français, la France s’engage à ne pas annexer le Cambodge à la Cochinchine et accepte de reconnaître la mainmise siamoise sur les provinces de Battambang et d’Angkor.
Entre 1863, début du protectorat, la France laisse Norodom diriger les affaires intérieures du pays en monarque absolu, avec des tergiversations, comme en 1884 où le gouvernement français de Jules Ferry, persuadé que le roi freine les réformes, impose un protectorat beaucoup plus rigoureux, analogue à celui imposé à l’empereur d’Annam (nom que l’on donnait alors au Vietnam).
Mais, une insurrection populaire fait finalement reculer les Français. Norodom qui avait transféré sa capitale d’Oudong à Phnom Penh avait des velléités de modernisation, à l’instar de son prédécesseur Ang Duong : suppression d’un certain nombre de charges mandarinales qui consistaient surtout en privilèges sans contreparties en termes de services rendus, traitement fixe pour les fonctionnaires, avec interdiction de se rétribuer directement sur le produit des impôts et intention d’abolir l’esclavage.
Mais, toutes ces réformes suscitent une vive opposition de la part de la cour et forcent le roi à temporiser. En 1897, Paul Doumer, nouveau gouverneur général de l’Indochine écrit :
« Après quarante ans de protectorat français sur le Cambodge, les progrès économiques s’avèrent insignifiants pour ne pas dire nuls »
Le Prince Sisowath
En 1904, à la mort de Norodom, la succession revient à son frère, le prince Sisowath, favori des Français. Partisan de la modernisation, il favorise la politique mise en place par Doumer de réalisation d’infrastructures. Les relations avec la puissance coloniale sont améliorées lorsque la France obtient du Siam en 1904 et 1907 la restitution des provinces occidentales.
En 1927, Sisowath meurt, et il est remplacé par son fils aîné Monivong. Les deux souverains entretiennent des relations plutôt amicales avec les Français. Les deux administrations, française et cambodgienne, continuent à se partager les pouvoirs.
Dans la première partie du xxe siècle, les Français construisent un certain nombre d’infrastructures (routes, voie ferrée Phnom Penh-Battambang, port de Phnom Penh, hôpitaux), mais le développement se fait dans le cadre de l’union indochinoise. Dans la pratique, cela veut dire que les Cambodgiens sont très peu représentés dans les administrations centrales de Hanoï.
Au Cambodge même, malgré le développement très modeste du système d’enseignement, des cadres administratifs cambodgiens sont formés, mais les cadres techniques sont essentiellement vietnamiens, alors que les commerçants sont le plus souvent chinois. Dans les administrations qui dépendent directement du gouvernement général de l’Indochine, comme les douanes ou la justice, on trouve plus de Vietnamiens ou de Pondichériens que de Cambodgiens.
Le système scolaire dont les écoles de pagode restent la base se développe lentement, mais il ne s’agit que d’enseignement primaire. Le Cambodge ne compte encore en 1937 que 1 000 écoles, dont 813 écoles de pagode, avec 49 500 élèves pour 3 millions d’habitants.
Apport « positif » de la colonisation, les données démographiques sont à peu près fiables. Le premier recensement de 1921 dénombre 2,3 millions d’habitants. En 1937, le Cambodge ne dispose toujours pas d’un enseignement secondaire digne de ce nom : les Cambodgiens de famille aisée doivent passer leur baccalauréat à Saïgon. En 1937, on compte 631 étudiants inscrits à l’université indochinoise de Hanoï. Parmi eux, trois seulement sont des Cambodgiens.
La Seconde Guerre mondiale et l’indépendance
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Français n’envisagent pas de laisser accéder le Cambodge à l’indépendance dans un avenir proche. Les mouvements indépendantistes restent modestes. La lutte pour l’indépendance est incarnée par Son Ngoc Thanh. Charles Meyer résume la situation en écrivant :
« Entre Français et Cambodgiens, il y eut, en somme plus cohabitation que domination… »
Après des bombardements aériens fin 1940, la Thaïlande lance une offensive terrestre en janvier 1941. Les forces françaises - au rang desquelles deux bataillons de tirailleurs cambodgiens - contre-attaquent et sont victorieuses lors de la bataille navale de Koh Chang. Sous la pression des Japonais, la France doit cependant céder à la Thaïlande en mai 1941 les provinces de Battambang et de Siem Reap.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Japonais laissent le Gouvernement de Vichy administrer les différents pays de l’Indochine française tout en encourageant le nationalisme cambodgien.
C’est ainsi à l’amiral Jean Decoux, gouverneur général de l’Indochine qu’il revient de gérer la succession de Monivong, décédé en 1941. Son choix se porte sur Norodom Sihanouk, un prince âgé de dix-neuf ans qui reste entouré de très près par ses conseillers français.
Le 9 mars 1945, un coup de force japonais met brutalement fin à la domination française. Le Cambodge bénéficie ainsi d’une brève période d’indépendance avant la restauration de l’autorité française. Le 12 mars, Sihanouk dénonce le protectorat. Son Ngoc Thanh, réfugié au Japon, rentre à Phnom Penh, devient ministre des Affaires étrangères et pousse le gouvernement à se rapprocher du Japon. Un mouvement nationaliste et anticolonialiste.
Son Ngoc Thanh s’autoproclame Premier ministre en août avec le soutien des Japonais. La confusion est extrême jusqu’à la capitulation japonaise et même au-delà. Sihanouk finit par prendre contact avec les Français, les invitant à venir restaurer le protectorat. Les troupes françaises et britanniques entrent dans Phnom Penh et, le 15 octobre 1945, le général Leclerc entre à Phnom Penh et procède à l’arrestation de Son Ngoc Thanh.
Après la défaite du Japon, le Cambodge est alors reconnu par la France comme un royaume autonome au sein de l’Union française. En 1949, un nouveau traité avec la métropole accorde à nouveau au pays le statut de protectorat. Le royaume connaît à cette époque d’intenses luttes intérieures entre le roi et le pouvoir législatif.
À la suite de nombreuses querelles avec le Parti démocratique au pouvoir, Norodom Sinahouk décide de dissoudre l’Assemblée nationale en janvier 1953. Sihanouk, ayant tiré son épingle du jeu, occupe depuis une place centrale sur l’échiquier politique.
Durant la guerre d’Indochine, le Cambodge est menacé par le Việt Minh et ses alliés khmers issarak, mais reste, des trois pays de l’Indochine française, celui qui souffre le moins de la guérilla indépendantiste communiste. C’est Sihanouk qui parviendra à obtenir l’indépendance, en s’efforçant de négocier avec les Français dans des termes acceptables par toutes les parties.
Processus de l’indépendance
Le 9 février 1953, Sa Majesté quitte le Royaume pour se rendre en France afin de revendiquer l’Indépendance du Cambodge auprès du chef de l’État français. De la Napoule, en France, le roi envoie, le 5 mars 1953, une lettre à M. Vincent Auriol, pour lui exposer la nécessité pour la France d’élargir le cadre de l’indépendance khmère.
De la Napoule, le 18 mars 1953, puis de Fontainebleau, le 3 avril 1953, le roi écrit encore deux lettres à M. Vincent Auriol et au gouvernement français pour compléter ses points de vue concernant l’Indépendance cambodgienne et pour demander au gouvernement français d’en hâter la solution.
Devant la réticence du gouvernement français, Sa Majesté quitte la France, le 11 avril, pour le Canada et les États-Unis, où elle fit campagne pour l’indépendance de son pays.
La déclaration royale publiée dans le New York Times émut le monde entier et obligea le gouvernement français à négocier avec le représentant personnel de Norodom Sihanouk, Penn Nouth. Les négociations aboutissent à une proposition faite par la France d’accorder certaines concessions importantes au Cambodge. Le 14 mai 1953, le roi rentre au Cambodge pour y rencontrer Penn Nouth.
À son Peuple qui lui accorde les honneurs d’un triomphateur et héros, Sa Majesté promet officiellement par un discours prononcé le 17 mai 1953 qu’il donnera sa vie pour obtenir une indépendance totale à 100 %.
Le 13 juin 1953, le roi s’exile volontairement en Thaïlande, après avoir, par une proclamation, attiré l’attention du monde sur la non-satisfaction des aspirations légitimes de la nation cambodgienne, cette non-satisfaction pouvant comporter des conséquences tragiques tant pour le Cambodge que pour le monde libre.
Accords
Après avoir obtenu que toutes les Nations libres accordassent toute leur attention aux revendications et aux événements au Cambodge, Norodom Sihanouk rentra dans sa Patrie et installa son quartier général dans le Secteur Autonome, composé des provinces de Siem reap, Battambang et Kompong Thom. L’autonomie militaire de ces provinces avait été acquise au Cambodge grâce à une revendication de Sa Majesté faite, en 1949, pour Siem Reap et Kompong Thom, en 1952, pour Battambang. Le roi déclara qu’il ne rentrerait dans sa capitale que lorsque la France aurait accepté de transférer au Cambodge les derniers attributs de son indépendance.
Pour soutenir sa croisade, le roi crée ensuite le Mouvement des Forces vives qui devait par la suite jouer un plus grand rôle. Les négociations menées à Phnom Penh selon les directives royales et sous la direction de Penn Nouth, aboutirent à un succès complet.
Le 29 août 1953 fut signé l’accord de transfert des Compétences de Justice. Le 29 août 1953 vient le tour de l’accord de transfert des Compétences de police. Le 17 octobre 1953 enfin l’accord consacrant la souveraineté militaire des Cambodgiens sur tout le Royaume est conclu. En même temps, la souveraineté totale en matière diplomatique se négocie par échange de lettres entre le gouvernement français et celui du Cambodge.
Indépendance cambodgienne effective et totale
Le 8 novembre 1953, SM Norodom Sihanouk rentre dans sa capitale. Sur les 300 kilomètres de son parcours, le peuple cambodgien en délire lui fait un triomphe sans précédent. Le 9 novembre 1953, huit mois avant la Conférence de Genève, eut lieu, devant le Palais royal, la cérémonie consacrant le retrait du pouvoir français du Cambodge.
Le Général de Langlade remit solennellement son Commandement à Sa Majesté. Les Forces et l’État-major se retirèrent du Royaume. L’Indépendance cambodgienne devenait effective et totale. Lors des accords de Genève, le prince pourra se permettre de refuser toute concession aux Khmers issarak, qui doivent déposer les armes ou évacuer le Cambodge pour se réfugier au nord Vietnam.
Sources :
A. Dauphin-Meunier, Histoire du Cambodge, PUF, Paris, 1961, 1983
Philippe Devillers, article Encyclopédia Universalis, 2000
Alain Forest, Le Cambodge et la colonisation française : Histoire d’une colonisation sans heurts (1897 – 1920), vol. 1, Éditions L’Harmattan, coll. “Centre de documentation et de recherches sur l’Asie du Sud-Est et le monde insulindien”, 1er mars 1993, 546 p. (ISBN 9782858021390)
Charles Meyer, Derrière le sourire khmer, Plon, 1971
François Ponchaud, Brève histoire du Cambodge, Magellan & Cie 2014.
Illustrations : Archives françaises d'outre-mer
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