Ballades romantiques autour de Kep est un texte écrit par le célèbre Jean Bertolino ( 52 sur la une ) et retraçant les voyages et impressions de son dernier séjour au Cambodge qui fut le pays de ses débuts de journaliste. Bien entendu, la plume est jubilatoire, agréable et pleine du talent de ce conteur auprès duquel on aimerait s’asseoir pour qu’il nous raconte : « dis, c’était comment le Cambodge avant ? »
Balles, obus, criblèrent les façades des deux édifices qui, une fois la bataille terminée, avaient piteuse allure. Aujourd’hui, le vieux casino est toujours debout mais vide. Il nous évoque l’hôtel où fut tourné le film Shining avec Jack Nicolson. En le visitant nous avions, nous aussi, des flash-backs, de fugaces visions de la belle époque quand les élégantes de Phnom Penh, voire de Saigon, accompagnées de leurs opulents maris venaient se détendre dans ce lieu magique, aujourd’hui sinistre.
« Nous imaginons aisément les belles limousines d’antan stationnant dans les allées des jardins, les tintinnabulements des verres de cristal dans les salons et au bar, les attroupements tendus autour de la roulette, et la voix du croupier lançant '' Faites vos jeux . Les jeux sont faits. Rien ne va plus ! '' »
Et tendant l’oreille, on aurait alors presque capté le crépitement de la bille et ses hésitations avant son immobilisation totale. C'est fou ce qu'un lieu à l'abandon, qui fut célèbre jadis, peut exciter l'inventivité et paraître encore habité par les fantômes de ceux qui l'ont fréquenté.
Des cris joyeux d’enfants qui jouent à cache-cache dans le labyrinthe des pièces désertes nous sortent de notre évasion dans le passé. Leurs voix vibrent étrangement et l’on pourrait presque croire à entendre leur résonance spectrale qu’eux non plus ne sont pas réels, qu’ils viennent d’un autre monde... Et pourtant, non. Ils sont bien de celui-ci. A quelque pas de là, la vieille église abandonnée pourrait presque faire penser à une église perdue dans les montagnes de France si les plantes tropicales qui l’entourent et, juste sur la crête derrière elle, la vue vertigineuse de la côte khmère située 1000 mètres plus bas ne venaient démentir cette impression.
Délicate attention des autorités : un crucifix au dessus de l’autel, une statue de Jésus et d’une sainte Vierge habitent de nouveau ce lieu de prières d’où les avaient chassés sans ménagement les derniers occupants. Il semblerait que le casino construit, lui, dans les années 60 sous la gouvernance du prince Sihanouk, soit en passe d’être restauré mais cette fois, il devra faire face à la concurrence d’un monumental et hideux établissement de jeu style chinois comme il en fleurit ailleurs au Cambodge ou dans le nord de la Thaïlande.
« Partout des immeubles tape à l'œil sortent de terre. Un chantier pharaonique vient d’être lancé qui est en train d’ériger des hôtels de luxe, des golfs, un colossal resort, et des résidences de villégiature pour les nouveaux riches de la région »
Alors terminées les réminiscences romantiques, et les modes désuètes ! Demain du passé on aura fait table rase et il n’y aura plus de place pour le charme discret et les nostalgies. Les jeux sont faits ! Ce matin nous sommes allés dans la zone maraîchère de Kampot pour y visiter, caché au cœur d’une grotte, un petit temple en brique datant du royaume indianisé du Founan dont l’apogée se situe au 5ème siècle. C’était probablement le tout premier royaume Khmer, bien antérieur à l’empire angkorien, qui, sur ses monuments, écrivait en sanskrit. Si l’on en croit des pièces de monnaies et des poteries trouvées sur certains sites, le Founan aurait eu des échanges avec l’empire romain. De cette civilisation il ne reste que très peu de choses. C’est pourquoi, il était si émouvant de contempler ce petit temple caché dans les ténèbres d’une grotte qui l’a préservé de l’usure du temps. Cet après midi, farniente sur la plage de Kep. Demain retour à Phnom Penh avec, comme dernière image de notre séjour, une petite fille jouant à faire des bulles de savon qui explosent presque aussi vite qu’elles apparaissent et sont aussitôt remplacées. Qu’est ce que cent ans, qu’est ce que mille ans puisqu’un seul instant les efface ?
Jean Bertolino
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