Les Khmers ont la passion du bois. On voit assez souvent publier dans la presse locale des photos de demeures appartenant à de riches Cambodgiens, entièrement décorées en bois : escaliers, planchers, habillage des murs, mobilier, sculptures… le bois verni est omniprésent.
Certes, ce style de décoration intérieure ne répond souvent pas aux critères de l’esthétique occidentale, qui considère que l’ensemble est trop chargé, mais il est particulièrement prisé par les locaux.
Certains n’hésitent d’ailleurs pas à dépenser de véritables fortunes pour acquérir des objets confectionnés dans les essences les plus rares. Les moins scrupuleux, quant à eux, n’hésitent pas à acheter des blocs d’essences rares de contrebande, qu’ils feront ensuite façonner par des artisans de talent.
Les forêts cambodgiennes regorgent d’ailleurs de ces bois précieux qui font l’objet de trafics de grande ampleur, parfois avec la complicité de militaires ou de fonctionnaires locaux. Les arbres rares sont abattus et leurs troncs sont débités en poutres, morceaux ou blocs qui sont fréquemment exportés en toute illégalité vers les pays voisins (essentiellement Thaïlande et Vietnam) ou vers la Chine. Ces essences servent le plus souvent à fabriquer des meubles luxueux qui sont vendus à prix d’or.
Sur mesure
À Phnom Penh même, il est assez facile de commander des meubles sur mesure. Des artisans en grand nombre travaillent dans des ateliers rudimentaires pour confectionner armoires, lits, tables, chaises… Ces ateliers sont souvent discrètement regroupés dans de petites rues peu exposées, comme par exemple dans un tronçon de la rue 91 (parallèle à l’ouest au boulevard Monivong), qui se trouve au sud de la capitale, dans l’arrondissement de Phsar Daeum Thkov. Pour ce qui est de la sculpture sur bois, c’est dans la banlieue de la ville de Battambang que se concentrent de nombreux ateliers et artisans qui transforment les blocs ou panneaux de bois brut en œuvres d’art et d’artisanat de très belle facture.
Essences précieuses
Ces professionnels utilisent bien entendu des essences disponibles localement, mais font aussi venir leur matière première de l’ensemble du Cambodge, voire de Thaïlande. Les essences précieuses disponibles au Cambodge sont nombreuses : bois de rose et ébène (« kro-gnung »), santal rouge (« thnung »), sindora (« ka-kaoh »), afzélia (« beng »)… Les arbres sont le plus souvent cachés dans des forêts profondes et difficiles d’accès, ce qui rend difficiles la protection et la surveillance.
Inspiration
L’un des ateliers que nous avons eu la chance de visiter s’est spécialisé dans la production en série de statues de Bouddha de différents formats, peintes ou non, recherchées par nombre d’hôtels pour leur décoration intérieure. Ces statues, qui font l’objet de commandes régulières, sont le plus souvent fabriquées en masse et n’ont pas beaucoup d’intérêt sur le plan artistique.
Cependant, les artisans de l’atelier se laissent parfois guider par leur inspiration pour sculpter des statues s’inspirant de différents personnages de l’hindouisme ou du bouddhisme. Nous avons pu ainsi apprécier le joli travail d’une statue s’inspirant du dieu Ganesh, cette divinité de l’hindouisme à tête d’éléphant et corps d’homme. D’après le maître des lieux, on peut même, si l’on possède soi-même un bloc de bois précieux, l’amener et passer commande en demandant à l’atelier de sculpter le sujet de son choix.
Dans un autre atelier de plus grandes dimensions, les œuvres sculptées étaient plus nombreuses, plus variées et d’un niveau artistique sensiblement plus élevé. Dans ce lieu, on fabrique également des meubles à la demande.
L’atelier a acquis pour le compte de clients khmers, souvent issus de la diaspora, de lourds panneaux de taille imposante (jusqu’à deux mètres de hauteur sur quatre mètres de longueur) à la surface desquels sont gravées des scènes reproduisant certains des temples d’Angkor, la préférence allant, comme on peut s’y attendre, aux temples d’Angkor Wat et du Bayon.
Finesse des traits
Les scènes sont d’abord dessinées au charbon de bois sur la surface plane des panneaux, puis l’artisan se met à l’œuvre. Il faut souvent plusieurs semaines pour mener à bien le minutieux travail de sculpture de ces immenses panneaux. La finesse des traits, le relief des scènes sont assez extraordinaires. La perspective est souvent rendue par des trésors d’ingéniosité.
Le plus gros du travail est accompli à l’aide de perceuses à l’extrémité desquelles sont montées des mèches à bois, mais c’est au ciseau que sont sculptés les finitions et les éléments les plus fins. Pour réaliser leurs œuvres, les artisans possèdent toute une gamme de ciseaux de différentes dimensions et formes. Une fois le travail de sculpture terminé, la surface du panneau est recouverte d’un vernis qui protègera l’œuvre des avanies du climat et du temps.
Sujets chinois
Dans ce second atelier également, d’autres artisans sculptent dans des troncs ou des racines des statues d’inspiration plus diverse. Les sujets chinois sont particulièrement nombreux : carpe symbolisant la longévité, crapauds tenant dans leur gueule des sapèques (pièces de monnaie chinoises) invitant à la prospérité, personnages de la mythologie chinoise (en particulier Guan Yu, général légendaire de l’épopée des Trois Royaumes, très populaire au Cambodge).
Les sujets empruntés au bouddhisme sont également une source d’inspiration importante, avec par exemple des statues de Budai, le fameux « bouddha rieur et bedonnant », représentation humoristique d’un célèbre moine chinois chan (zen) du X° siècle.
L’habileté des artisans est remarquable, d’autant plus que les conditions de travail sont plutôt primitives. Les sculpteurs sont installés sur un terrain boueux, abrités de la pluie ou des rayons du soleil par des bâches en plastique rudimentaires. Les difficultés du métier constituent probablement la principale raison pour laquelle les apprentis sont de plus en plus difficiles à recruter.
Il est vrai aussi que les salaires des débutants sont relativement faibles (de l’ordre de 150 dollars mensuels), mais il faut noter que ceux des maîtres artisans peuvent atteindre des sommets (à l’échelle du Cambodge) : jusqu’à 1500 dollars par mois ! Si l’on est amoureux des sculptures en bois, un voyage à Battambang à la découverte de ces ateliers s’impose !
Texte et photographies par Pascal Médeville
Bonjour Pascal. Merci pour ce bel article. Avez-vous dans cette région des infos sur le tournage sur bois ? Je visite la région en novembre 24 et serait intéressé par visiter qq ateliers de tournage si ils existent et son visitables ? Merci