« Moi, je m’occupe presque uniquement de l’Homme. Je vais au plus pressé. Les paysages ont l’éternité », affirmait Henri Cartier-Bresson. Ici, le 8e Art est à l’honneur avec l’artiste photographe Tytaart. À l’aide de son œil aiguisé, elle capture à travers ses portraits l'expression humaine dans son état le plus brut ; une véritable mise à nu de l’âme.
Tytaart sera à l'affiche de la prochaine exposition intitulée « Eternal » qui débutera le 15 janvier 2020 dans la galerie Sra'Art. Pour cette exposition, elle sera accompagnée du peintre franco-thailandais Don Virao et du designer français Jean-Baptiste Carraro. Entretien :
CM : Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, parlez-nous un peu de vous
Je suis cambodgienne, née et élevée dans la ville de Phnom Penh. J’ai fréquenté l’école primaire Preah Norodom avant de déménager aux États-Unis pour une période de deux ans avec ma mère. Après mon retour au Cambodge, j’ai poursuivi mes études cambodgiennes à l’école américaine Intercon (AIS). j'ai ensuite obtenu un baccalauréat international bilingue à l’école de Northbridge. Puis, j’ai continué mes études supérieures en Angleterre, à Londres, j’y ai étudié la gestion des affaires et le design à l’université de Regent. J'ai suivi un merveilleux parcours d’échange de six mois à l’école de design Parson à New York. J’ai validé ma licence en 2017 et je suis ensuite revenue à Phnom Penh.
CM : Vous avez vécu quelques années en Angleterre, qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
J’ai beaucoup apprécié mon séjour en Angleterre. C’était une grande opportunité de vivre dans une capitale mondiale et multiculturelle. Au cours de ma deuxième année, j’ai déménagé à Stratford et lors de mes nombreux trajets en métro, j’ai pu observer et apprendre des gens qui m’entouraient. Peu souriaient, ils s’occupaient de leurs affaires, semblaient tristes. Le matin, ils se précipitaient pour se rendre au travail et se pressaient le soir pour rentrer chez eux.
« J’en retire un principe important que j’aime appliquer dans ma vie ; faire ce qu’on aime pour être en harmonie avec soi-même. J’ai aujourd’hui la chance de vivre de ma passion, la photographie »
CM : Comment est née votre passion pour la photographie ?
Cela a commencé quand j’étais adolescente. Quand j’avais 13 ans, ma mère m’a offert un smartphone, c’était vraiment une joie. Je me souviens avoir pris beaucoup de photos sur ce téléphone et devoir supprimer les anciennes photos si je voulais en prendre de nouvelles parce que l’espace de stockage de la carte mémoire était insuffisant à ce moment-là. J’ai reçu mon premier reflex numérique, un cadeau de ma mère le jour de mon 15e anniversaire ; c’était un Canon 600D et je l’ai toujours avec moi aujourd’hui. Depuis, je continue d’expérimenter les styles et les sujets pour mes photos. Je dois beaucoup à ma mère ; elle a vu que j’avais cette étincelle en moi avant tout le monde, y compris moi-même et si ce n’était pas pour elle, je ne pense pas que je ferais de la photographie.
CM : Parlez-nous de la naissance de Tytaart
Tytaart a commencé en 2014 lorsque j’ai déménagé à Londres pour poursuivre mes études supérieures. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à expérimenter le portrait qui s’est ensuite développé en une série intitulée « Women I Love ». Lors de mon retour à Phnom Penh, j’ai décidé de poursuivre ma carrière de photographe et de continuer à utiliser ce nom pour représenter la portée artistique de mon travail.
À propos du projet « Women I Love » :
« Sachant que le portrait a toujours été mon domaine favori, j’ai pris l’initiative de demander à mes amis de tenter une séance photo avec moi. Ils ont dit oui ! Après 6 ans, ce projet m’a permis de rencontrer tant de personnes talentueuses, inspirantes, belles, courageuses et bien plus encore...»
CM : Comment avez-vous développé votre carrière ? Quels médias utilisez-vous ?
De retour à Phnom Penh en 2019, j’ai commencé à contacter Melia Constantin pour une séance de portrait. J’avais l’habitude de la photographier en 2017, mais à cause d’une erreur technique, j’ai perdu toutes les photos de cette séance.Toutefois, ce nouveau shooting a attiré beaucoup d’attention sur ma page Instagram. Je voudrais exprimer un grand merci à Melia pour cela. Après cette session, j’ai commencé à collaborer avec plus d’influenceurs et d’artistes basés à Phnom Penh comme Vannak Boramey, Marie Thach, Raksa Neth, Navi Clifford, Olivier Fra, Joseph Vann, Daniel Ou, Kalyanney et Andrew Mam. Maintenant, je ne propose plus seulement des portraits, mais aussi des photos d’hôtellerie, y compris des produits, de la nourriture et bien sûr des hôtels.
CM : Que veut dire votre travail ? Que souhaitez-vous retranscrire à partir de vos photographies ?
Je travaille souvent le portrait. Je joue beaucoup avec la nature brute du sujet et les émotions humaines. D’une certaine manière, mon œuvre représente une extension de ma personnalité. Je suis une personne très nostalgique, j’aime me remémorer les expériences que j’ai vécues. La nostalgie est un sentiment très neutre, car elle mélange la joie et le chagrin. Mon travail se présente en quelque sorte ainsi ; mes portraits montrent une émotion neutre et la simplicité d’être un humain.
CM : Vous avez exposé sur « les toits » de Phnom Penh dans le cadre du projet « Complementarity », dites-nous en un peu plus
« Complementarity » signifie l’art de vivre ensemble en harmonie. Dans cette exposition, nous apportons au public deux interprétations différentes de cette philosophie à travers la peinture fascinante d’Adana Mam et ma photographie. Dans le monde de la complémentarité, nous avons abordé des sujets familiers comme l’empathie et la compassion, l’art d’être juste des humains, le chaos qui existe entre l’humanité qui s’étend à tous les sexes, âges et professions. C’est aussi la première fois que le Rosewood n’accueille que des artistes féminines cambodgiennes dans leur espace d’exposition. C’est donc une période passionnante pour tout le monde.
CM : D’un point de vue artistique, qu’est-ce que cette collaboration vous a apporté ?
Cette collaboration m’a amené à une profonde introspection concernant mon travail et la manière dont je l’aborde. Pour être plus concise, j’ai expérimenté plus d’expressions à travers à la fois le médium photographique seul et l’intégration entre les deux styles : Adana et Tytaart. En tant qu’artiste, j’ai passé un très bon moment à travailler sur cette collaboration. Du brainstorming à la recherche des bons visages pour chaque œuvre en passant par l’exécution de la séance photo elle-même, j’ai énormément appris.
CM : Quelles sont vos références ? Les artistes qui vous ont inspirée ?
Le seul photographe qui m’a inspiré depuis le début est un photographe américain originaire de Portland du nom de Ryan Muirhead. Son travail traite des jeux d’émotions de manière incroyable, sa technique et ses couleurs sont très réconfortantes. Je suis tombée amoureuse de son travail la première fois que je l’ai découvert et j’aurai toujours une grande admiration pour son œuvre.
CM : Que pensez-vous de la photographie au Cambodge ?
Je vois qu’il y a un regain d’intérêt pour la photographie en ce moment. Il y a ici de nombreux photographes talentueux, locaux et internationaux qui ont tous leur propre expression ; c’est très beau de voir que nous nous réunissons afin de porter nos voix et raconter nos histoires à travers nos différentes identités.
CM : Comment se présente l’horizon pour Tytaart ?
Il semble bien se profiler jusqu’à présent. Je crois qu’avec le temps et la pratique, je peux vraiment développer mon art et l’amener à un meilleur niveau.
Propos recueillis par Michael Grao
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