Parue le 20 avril 1978 dans l’hebdomadaire maoïste l’Humanité Rouge, cette interview, plutôt révoltante et totalement dégoulinante d'hypocrisie, réalisée par des journalistes » amis » yougoslaves, du leader du Kampuchea Démocratique, fait le point après trois ans de » révolution culturelle ». C’est un document historique intéressant, car peu d’occidentaux pouvaient se rendre au Cambodge durant cette époque, document qui n’a aussi de valeur que dans la révélation des approches du » Frère Numéro 1” dans sa vision de l’avenir du Cambodge, vision dans laquelle ne sont évidemment pas évoqués le triste sort et les réelles souffrances du peuple cambodgien durant les années Pol Pot.
Extraits
L’Humanité Rouge : « Il y a trois ans, le 17 avril 1975, l’Armée révolutionnaire du Kampuchea entrait dans Phnom Penh et libérait ainsi la totalité de son pays. Le peuple du Kampuchea, enfin maître de son pays après des siècles d’esclavage et de dépendance, et ayant en même temps brisé les anciens rapports de production capitalistes et féodaux, s’adonnait avec la même force que lors de la guerre de libération nationale à la reconstruction de son pays. Il édifie depuis sa patrie socialiste, sous la direction du Parti communiste du Kampuchea qui l’a guidé jusqu’à la victoire. Nous publions dans ce numéro de larges extraits de l’interview accordée par le secrétaire du Comité central du PCK et Premier ministre du gouvernement du Kampuchea, Pol Pot, à une délégation de journalistes yougoslaves qui ont visité le pays dans le courant de mars ».
Q : Respecté camarade Pol Pot, vous allez bientôt fêter le troisième anniversaire de la libération de votre pays. Voudriez-vous nous dire quels sont les résultats marquants dans la construction et la reconstruction du pays pendant ces trois années ?
Je réponds avec plaisir à votre question. Au cours de ces presque trois dernières années, nous avons obtenu un assez grand nombre de résultats satisfaisants dans le relèvement et l’édification du pays, mais je voudrais tout d’abord vous dire qu’il nous reste encore beaucoup à faire. Le premier résultat marquant est que nous avons résolu le problème agricole, notamment dans le domaine de la riziculture. Avoir résolu le problème de la production rizicole, c’est avoir suffisamment de riz pour nourrir notre peuple. En 1976, notre plan prévoyait un rendement de trois tonnes de paddy à l’hectare. Nous avons atteint 80 à 90 % de cet objectif, ce qui nous a permis de résoudre les conditions de vie de notre peuple et de procéder également à des exportations de riz. En 1977, notre plan prévoyait un rendement de trois tonnes de paddy à l’hectare pour une récolte et de six tonnes à l’hectare pour deux récoltes par an. Nous avons réalisé ce plan à près de 100 %, ce qui nous a permis d’obtenir, en 1977, une production de paddy bien supérieure à celle de 1976, d’améliorer les conditions de vie de notre peuple et d’augmenter la quantité de riz exporté.
Notre devise est : » Si nous avons du riz, nous pouvons tout avoir » parce que le peuple peut manger à sa faim, nous avons du riz à exporter et nous pouvons importer les produits dont nous avons besoin. Les résultats obtenus dans la production agricole reposent sur des bases constituées par des aménagements hydrauliques fondamentaux que nous avons déjà réalisés. Ces aménagements hydrauliques constituent un acquis important qui assure à l’avenir la production rizicole et agricole. Et une fois résolu le problème agricole, les autres secteurs comme l’industrie, l’artisanat, les secteurs social et culturel peuvent, à partir de cette base, également se développer.
Un autre résultat marquant est que nous avons éliminé le paludisme à 90 %. Aussi, les conditions de vie de notre peuple dans le domaine de la santé se sont-elles beaucoup améliorées. Un autre résultat marquant est l’élimination fondamentale de l’analphabétisme qui fut une tare de l’ancienne société. Certes, dans l’ancienne société, il y avait des facultés, lycées, collèges et écoles primaires dans les villes, mais la majorité de la population rurale était analphabète. Maintenant, nous avons résolu fondamentalement ce problème. Notre peuple sait lire et écrire. Ce sont là les bases qui permettront à notre peuple d’accroître, au fur et à mesure, son niveau culturel. Ce n’est pas une partie seulement de la société, mais c’est le peuple tout entier qui peut apprendre et étudier. Nous nous appuyons sur ces fondements pour développer l’éducation et l’instruction. Quant aux autres résultats, ils sont moins marquants, mais je voudrais vous dire que nous avons créé et développé le réseau sanitaire dans tout le pays. Chaque coopérative a son centre médical et son centre de fabrication de médicaments traditionnels, nationaux et populaires.
Nous avons des médecins dans tout le pays, dans toutes les coopératives et même dans les régions les plus reculées du pays. Le niveau de ces médecins est encore élémentaire, mais en nous appuyant sur cette base, nous développerons, au fur et à mesure, leurs compétences. En ce qui concerne l’artisanat et les ateliers, il n’y a pas de réalisations spectaculaires. Mais nous avons créé partout un réseau d’ateliers. Chaque coopérative possède ses artisanats et ses ateliers. Ce sont là les bases pour développer l’artisanat et permettre de l’acheminer progressivement vers l’industrialisation. Ce sont là un certain nombre de résultats marquants. Ils ont été obtenus grâce aux efforts de notre peuple, sous la direction de notre Parti communiste du Kampuchea. Le peuple travaille de ses propres mains, constate lui-même les résultats de son travail et il en est enthousiasmé.
Q : Au cours de notre bref séjour dans votre beau pays, nous avons eu des preuves que votre révolution coupe radicalement avec le passé. Quel modèle de société êtes-vous en train de construire ?
Nous n’avons pas de modèle pour bâtir notre nouvelle société. Le Congrès national spécial qui s’est tenu à la fin du mois d’avril 1975 a bien précisé que le rôle déterminant dans la révolution, dans la guerre de Libération nationale, est tenu par le peuple ouvrier et paysan qui constitue l’écrasante majorité de la population. C’est ce peuple ouvrier et paysan qui a supporté le plus lourd fardeau dans la révolution, aussi c’est ce peuple ouvrier et paysan qui doit bénéficier le plus des acquis de la révolution, à présent comme à l’avenir. Le préambule de notre Constitution a également stipulé ce point. Notre aspiration est de construire une société où règnent pour tous le bonheur, la prospérité, l’égalité, où il n’y a pas de classe exploiteuse ni de classe exploitée, ni exploiteurs ni exploités, et où tout le monde participe aux travaux de production et à la défense nationale. C’est sur ces bases et dans ce but que nous édifions la nouvelle société. Ainsi, l’édification de la nouvelle société est entreprise conformément aux aspirations de l’ensemble du peuple, et notamment celles du peuple ouvrier et paysan qui constitue la majorité écrasante de la population.
Si le peuple estime que la voie suivie pour l’édification de cette société est bonne, il poursuit dans cette voie. Si au contraire, il n’en est pas satisfait, il en décidera autrement. Il appartient au peuple de décider. Selon nos expériences, nous nous appuyons totalement sur notre peuple, dans la révolution comme nous l’avons fait dans la guerre de Libération nationale.
Q : D’après ce que nous avons vu dans cette phase de votre révolution, vous avez mis toutes vos forces nationales pour développer l’agriculture. Auriez-vous l’intention de développer aussi l’industrie et comment comptez-vous créer la base technique, c’est-à-dire comment allez-vous former les cadres nécessaires pour cette orientation, car pour le moment, à notre connaissance, vous n’avez ni universités ni écoles techniques ?
Nous avons des objectifs et des plans pour développer rapidement l’industrie. En nous basant sur l’agriculture, nous nous efforçons de développer l’industrie. Nous estimons que pour avoir une économie indépendante, nous devons développer l’agriculture, l’industrie, l’artisanat et les autres secteurs. Aussi, c’est une orientation sur laquelle nous portons beaucoup d’attention. Mais pour édifier l’industrie, où trouver des capitaux ? Nous nous appuyons pour cela sur l’agriculture. Par exemple, nous avons établi des relations commerciales avec les camarades yougoslaves. Nous exportons des produits agricoles et nous importons des produits industriels, à la fois pour les besoins de l’agriculture et pour ceux de l’industrie. Parallèlement à cela, nous avons une politique pour former rapidement de nombreux techniciens nationaux.
Si nous parlons de facultés, d’enseignement supérieur et secondaire comme auparavant, ils peuvent vous paraître inexistants, mais nous formons des techniciens à partir de la base. Dans les coopératives, il y a plusieurs ateliers spécialisés où les études sont étroitement liées au travail de production. Il en est de même dans les usines, à Phnom Penh comme dans les provinces (…). Nous formons nos techniciens à partir de la base et nous élevons leur niveau technique au fur et à mesure. Ils participent aux travaux de production, et ils acquièrent des expériences concrètes, positives et négatives, qui les font progresser. Avant la Libération, certains parmi vous sont déjà venus plusieurs fois au Kampuchea. À ce moment-là, il y avait très peu de techniciens nationaux. Il y avait beaucoup plus de techniciens étrangers. Maintenant, nous attachons une grande importance à la formation de techniciens nationaux. (…)
Nous portons beaucoup d’attention à ce problème de développement industriel et à la formation de techniciens nationaux. Nous élèverons le niveau de nos techniciens nationaux par nos propres moyens. Nous estimons pouvoir le faire à un certain degré. En alliant étroitement les études à la pratique concrète, ils acquièrent progressivement des expériences. Ensuite, ils iront en stage dans des pays amis où ils étudieront et accroîtront leurs connaissances scientifiques et techniques. Ce sont là les principes sur lesquels nous nous basons. Mais nous n’enverrons nos stagiaires que dans des pays amis.
Q : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez aboli le rôle de la monnaie, le réseau de commerce ? Serait-ce une orientation de passage dans la transformation sociale et révolutionnaire de votre société ou un modèle de société sur lequel vous allez insister à long terme ?
En ce qui concerne le rôle de la monnaie, le système des salaires et le commerce, je voudrais vous dire ceci :
En 1970-1971, nous avions déjà libéré 75 à 80 % de notre pays. À ce moment-là, nous avions le pouvoir politique et le pouvoir militaire, mais nous n’avions pas le pouvoir économique : l’économie était entre les mains des propriétaires fonciers et des capitalistes. Aussi, ces derniers amassaient toute la production parce qu’ils avaient de l’argent (…) Quant à nous, nous n’avions rien. La population avait beaucoup de difficultés sur le plan des vivres. Notre armée également. Ces difficultés se répercutaient sur la guerre de Libération nationale. Après avoir bien étudié, cette situation, nous avons décidé de créer des coopératives afin qu’elles tiennent en main l’économie, la production agricole à la campagne, s’occupe de la gestion, de la distribution, du ravitaillement et des échanges, d’une part entre coopératives, et d’autre part entre les coopératives et l’État. C’est ainsi que nous avons pu tenir en main la production agricole, résoudre les problèmes des conditions de vie du peuple. Le peuple en a été enthousiasmé et a envoyé ses enfants dans l’armée pour combattre l’ennemi. Lorsque les coopératives se sont entraidées et ont développé entre elles les échanges de produits, le rôle de la monnaie a progressivement diminué. En 1974, il a diminué de 80 %. Avant la Libération, seul l’État utilisait la monnaie. Il l’utilisait pour acheter divers produits dans la zone non encore libérée pour les besoins de la zone libérée placée sous son contrôle. Après ces expériences, nous avons consulté le peuple qui a estimé que la monnaie n’a aucune utilité parce que les coopératives ont déjà pu procéder à des échanges entre elles sans y avoir recours. Ainsi, à ce moment-là, dans la zone libérée qui s’étendait sur plus de 90 % du pays avec près de six millions d’habitants, nous avions déjà résolu ce problème. Lorsque la population des villes a été transférée à la campagne, elle a été prise entièrement en charge par les coopératives. Cette pratique nous a conduits à ne pas faire usage de la monnaie jusqu’à présent. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Cela dépend du peuple. Si le peuple estime qu’il faut utiliser à nouveau la monnaie, nous l’utiliserons. Mais s’il pense que cela n’est pas nécessaire, il décidera en conséquence (…).
LE SYSTÈME DES SALAIRES
En ce qui concerne le système des salaires, il y a aussi des habitudes acquises dans le passé, dans le mouvement révolutionnaire, surtout pendant la guerre de Libération nationale, que ce soit pour les cadres ou dans l’armée, il n’y avait pas de salaire. Quant aux habitants, ils n’avaient pas non plus de salaire. Avant la Libération, dans la zone libérée, les cadres, l’armée, la population, soit près de six millions de personnes, se sont déjà habitués à vivre sans salaire. Nous avons remarqué que, auparavant, la majorité de notre peuple n’avait pas de salaire. Seuls les fonctionnaires avaient des salaires. Ainsi, avec ces habitudes acquises, la population des villes s’est incorporée dans les coopératives. Les cadres civils, les cadres, combattants et combattantes de l’armée et les ouvriers ont continué à vivre suivant le régime de ravitaillement en vigueur pendant la guerre. Nous estimons que cela évite qu’un lourd fardeau ne pèse sur le peuple et permet de réserver l’argent principalement pour la défense et l’édification nationales. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Cela dépend de la situation concrète et du peuple.
LE RÉSEAU DE COMMERCE
En ce qui concerne le réseau de commerce, l’État et les coopératives coopèrent pour l’organiser. L’État rassemble les productions dès coopératives pour les distribuer dans tout le pays ou les exporter à l’étranger. L’État importe des produits de l’étranger pour les distribuer dans tout le pays.
Q : Si nous avons bien compris, le Kampuchea démocratique a des problèmes et des difficultés de tous genres avec les pays voisins. Que pensez-vous, comment pouvez-vous résoudre ces problèmes et surmonter les difficultés actuelles ?
La principale difficulté provient du fait que nous nous en tenons à la position d’indépendance, de souveraineté, de compter sur ses propres forces, de décider soi-même de sa propre destinée. Cette position contrarie certains pays, les expansionnistes et les impérialistes. Mais nous estimons qu’en nous en tenant à cette position d’indépendance, de souveraineté, de compter sur ses propres forces, nos difficultés sont bien moins graves que celles que nous rencontrerions si la nation et le peuple du Kampuchea étaient subjugués ou disparaissaient… comment résoudre ces difficultés ? Ce problème dépend des facteurs qui relèvent à la fois de notre côté et du côté adverse. Successivement, nous avons cherché à résoudre ce problème par des rencontres et des négociations. Tout de suite après la Libération, au mois de juin 1975, moi-même et d’autres camarades dirigeants, nous avons été à Hanoï. Nous avons décidé d’y aller et avons manifesté notre bonne volonté dans la recherche d’une solution aux problèmes, mais il y en a un, celui des frontières, que nous devions discuter. Nous avons dit que le Kampuchea ne demande qu’à vivre en paix, et qu’afin de préserver, développer et renforcer l’amitié entre les deux pays et les deux peuples, il considère les frontières actuelles que le Vietnam a solennellement reconnues en 1966-1967 et s’est engagé à respecter, comme frontières d’État entre les deux pays.
Nous n’avons pas non plus réclamé un pouce de territoire. Les Vietnamiens ont dédaigné de nous répondre parce qu’ils nourrissaient des ambitions plus grandes : s’emparer du Kampuchea tout entier sous la forme de » Fédération indochinoise » en envoyant, chaque année, plusieurs centaines de milliers et des millions de Vietnamiens s’y installer. Au bout de trente ans et plus, le peuple du Kampuchea deviendrait une minorité nationale. Ceci est très clair.
Au mois de mai 1976, nous avons invité les Vietnamiens à venir négocier à Phnom Penh. Au début, ils ne voulaient pas venir. Quand ils sont arrivés, ils nous ont dit qu’ils sont venus parce que nous avons insisté. Au cours des négociations, le Vietnam a rejeté les frontières qu’il a reconnues en 1966-1967 et qu’il s’est engagé à respecter. Il nous a dit qu’en 1966, il était d’accord avec le Kampuchea parce qu’en ce temps-là, il avait à combattre les impérialistes américains. Ainsi, c’est une duperie. Bien plus, il a proposé un nouveau tracé de frontières amputant une grande partie de nos eaux maritimes. Pour nous, c’est de l’expansionnisme et de l’annexionnisme. Ce n’est pas de l’amitié. Parce que nous sommes petits, il exerce des pressions sur nous. Mais nous n’avons pas accepté. Aussi, les négociations n’ont-elles pas abouti à aucun résultat.
Parallèlement à ces négociations, les Vietnamiens continuaient à nous attaquer le long de la frontière pour nous contraindre à nous soumettre. Mais nous n’avons pas cédé. Après avoir durement lutté contre les impérialistes et leurs valets, nous ne pouvons pas accepter d’être esclaves du Vietnam. Notre peuple ni notre armée ne peuvent accepter cela. Maintenant, comment résoudre ce problème ? Nous le résoudrons suivant la situation concrète. Si le Vietnam respecte réellement notre indépendance et notre souveraineté, s’il nourrit une véritable amitié pour nous, il n’y aura pas de difficultés à résoudre le problème. On pourra le faire tout de suite. Mais si le Vietnam persiste à vouloir s’emparer du Kampuchea, nous devons défendre notre indépendance, notre souveraineté et notre intégrité territoriale. Nous estimons que nos difficultés évolueront et pourront être résolues progressivement.
Q : Dans le monde, on écrit beaucoup, avec ou sans raison, que votre pays est très fermé. Auriez-vous l’intention de vous ouvrir davantage vers le monde entier, sur quels principes et dans quel sens ?
Depuis la Libération, nous avons reçu des amis au fur et à mesure. Après la Libération, nous avions beaucoup de problèmes à résoudre, nous avions à organiser le pays, à résoudre les problèmes posés par les conditions de vie du peuple, c’est-à-dire, nous avions à aménager notre pays, notre demeure. Nous sommes convaincus qu’à l’avenir, des amis viendront encore plus nombreux. Nous ouvrons notre pays aux amis. Nous inviterons et accueillerons de plus en plus d’amis dans notre demeure, dans notre pays et nous développerons et renforcerons notre amitié avec tous les peuples et pays amis. Quant aux personnalités et diverses organisations qui ont manifesté leur amitié et leur esprit de justice envers le Kampuchea, nous les avons invitées à visiter notre pays et nous en inviterons encore d’autres. Nous sommes convaincus que des amis de plus en plus nombreux viendront visiter notre pays. Mais nous devons également aménager et embellir notre demeure pour recevoir nos invités.
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