Cet ancien collaborateur de l’École Française d’Extrême-Orient, survivant des Khmers rouges, a recréé dans son jardin des répliques miniatures des temples d’Angkor.
Rien n’aura pu empêcher monsieur Dy Proeung de consacrer sa vie aux temples khmers qu’il chérit tant. Pourtant, les aléas de l’histoire n’ont pas épargné cet homme aux multiples vies, toutes placées sous le signe de la grandeur angkorienne.
Grandeur des miniatures
C’est un petit jardin calme, en plein centre de Siem Reap, qui se repère aisément par son entrée ornée de sculptures. Une fois le seuil franchi et après s’être acquitté de la somme modique de 1,5 $, le visiteur pourra contempler l’œuvre de Dy Proeung : quatre fidèles reproductions à taille réduite des temples d’Angkor, aux contours usés par les éléments et recouverts par la mousse. Comme pour leurs illustres modèles, la végétation y reprend ses droits, les herbes folles poussant au milieu d’un fatras de débris, moules et morceaux de sculptures brisées ou inachevées. La contemplation de cet Angkor miniature justifie à elle seule le déplacement, mais c’est la rencontre avec leur créateur qui, immanquablement, sera la plus enrichissante. Car si le jardin de M. Dy Proeung ne ressemble à aucun autre, il en va de même en ce qui concerne le destin de son propriétaire.
Une carrière prometteuse
À 82 ans, Dy Proeung tient encore à accueillir en personne chaque visiteur. Dans un français parfait, le vieil homme toujours alerte se fait un plaisir de dévoiler ses créations. Si son interlocuteur se montre curieux, une chaise lui sera apportée : commencera alors l’incroyable récit d’une vie hors du commun. Né en 1937, Dy Proeung a 16 ans lorsque le Cambodge accède à son indépendance.
Étudiant brillant, il choisit de suivre un cursus d’architecture à la prestigieuse université royale des beaux-arts de Phnom Penh. Il en ressort diplômé en 1960 et rejoint l’École Française d’Extrême-Orient à Siem Reap. Avec quatre autres personnes, il est chargé de dresser les plans des principaux temples, travail titanesque qui lui demandera plusieurs années. Il côtoie dans sa tâche tous les grands noms de l’époque et collabore avec Guy Nafilyan et Jacques Dumarçay, qui utilisera ses relevés dans son ouvrage de référence sur le temple du Bayon. Monsieur Dy Proeung ne se doute alors pas que les plans ainsi réalisés scelleront son destin pour le restant de son existence.
Un fabuleux trésor de papier
En 1975, le Cambodge bascule dans la violence absurde d’un nouveau régime pour qui chaque intellectuel constitue une menace à éliminer. Conscient du danger, Dy Proeung décide alors de dissimuler toute trace de son statut, mais se refuse à détruire ses précieux plans. Une nuit, alors que les combats se rapprochent, il part dans la campagne pour enfouir ses documents les plus chers.
Durant les 3 ans, 8 mois et 20 jours que durera le règne des Khmers rouges, Dy Proeung parviendra miraculeusement à dissimuler sa véritable identité et sera envoyé dans les champs comme travailleur agricole. Sans jamais cesser de penser aux temples, comme il le précise. Faisant partie des rares intellectuels rescapés, l’ancien architecte regagne Siem Reap dès 1979 et parvient à récupérer son fabuleux trésor. Un trésor d’autant plus précieux qu’un grand nombre d’archives ont été détruites par les Khmers rouges, y compris celles qui se trouvaient dans les locaux de l’EFEO.
Un autre Angkor
Mais que faire de ces plans, et comment les utiliser à bon escient ? Peu à peu mûrit une idée qui se mue en obsession, et qui va occuper Dy Proeung six années durant : réaliser dans son jardin les miniatures des temples dont il avait effectué le relevé vingt ans auparavant. En 1982, il abandonne la fonction de chef de village qu’il occupait alors pour se consacrer entièrement à son œuvre. Il commence par son favori, Angkor Wat, enchaîne avec le Bayon, puis viennent Banteay Srei et Ta Keo, tous construits en béton de ses seules mains, nécessitant chacun entre 1 et 3 ans d’efforts.
Découverte
En 1994, un soldat britannique de l’UNTAC visite par hasard ce « Palais idéal » version khmère et avertit quelques connaissances haut placées. L’œuvre de Dy Proeung se trouve soudain révélée, la reconnaissance ultime ayant lieu en 1995 lorsque S.M. Norrodom Sihanouk rencontre l’artiste, salue son travail et l’invite à transmettre son savoir auprès de la nouvelle génération. Depuis, le savant sculpteur a enseigné les arcanes de l’art angkorien à de jeunes apprentis dans son école proche de Roluos, dans laquelle il a réalisé encore d’autres miniatures.
Une passion toujours intacte
Son histoire, Dy Proeung la conte volontiers à toutes les personnes qui lui rendent visite. Entre 15 et 20 chaque jour, ce qui lui permet d’aider ses cinq enfants et ses petits-enfants, dont certains occupent la maison qui jouxte le jardin. Le lieu est même référencé dans l’incontournable Trip Advisor, sous la rubrique « choses à voir/à faire à Siem Reap ». Malgré son âge, le vieux maître continue de rendre visite à ses élèves et retourne dès qu’il le peut dans ces temples qui auront si incroyablement marqué sa vie. Et lorsqu’on l’interroge sur ses nouveaux projets, M. Dy Proeung sourit en pointant du doigt le haut de sa chemise : « La Légion d’honneur ».
Angkor Miniature Replicas, Rue 17, juste à côté de l’Irina Sports Bar et non loin de la pagode Po Lanka.
Par Rémi Abad
Au-delà du caractère bien sympathique de M. Dy Proeung et de ses répliques de ciment, le rédacteur aurait pu chercher à corroborer cette histoire intéressante et ainsi, peut-être, se rapprocher un peu plus de la complexité de son long parcours, sans suivre à la lettre la mémoire sélective d'un vieil homme.