Dans le district d’Ang Snuol (province de Kandal), à moins d’une heure de route de la capitale par la Route Nationale 4, sont regroupés de nombreux artisans spécialisés dans la fabrication des instruments de musique cambodgiens traditionnels : petit et grand cercles de gongs, tambours de toutes formes et de toutes tailles, xylophones…
Les instruments les plus divers qui composent les différents orchestres de musique traditionnelle du Cambodge sont aujourd’hui encore fabriqués de façon artisanale par des ouvriers qui perpétuent les traditions.
Lorsqu’on s’intéresse de façon un peu approfondie aux instruments de musique khmers, on est surpris par la complexité qui caractérise ces instruments. Les flûtes et bois, les tambours, les instruments à cordes pincées ou frottées, les xylophones et autres percussions se déclinent sous un nombre impressionnant de variantes. Les formes sont multiples, de même que les essences utilisées pour tel ou tel instrument, ou telle ou telle partie d’instrument.
Par exemple, le fameux « chapei dang veng », littéralement « luth à long manche », l’instrument utilisé pour accompagner un genre récitatif cambodgien inscrit en 2016 sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité, utilise des essences différentes pour la caisse de résonnance, pour le manche, pour les chevilles servant à tendre les deux cordes.
Les anches de la flûte « pei » sont parfois fabriquées à partir de feuilles de palmier à sucre, tandis que les fils qui constituent les archets des « tro », ces vièles (ou violons à deux cordes) si communes Cambodge, dont s’accompagnaient traditionnellement les musiciens aveugles qui parcouraient les routes en demandant l’aumône, peuvent être en crin de queue de cheval, mais aussi en fibres de gaine foliaire de ce même palmier à sucre…
Dans la campagne du district d’Ang Snuol, les chemins vicinaux forment un lacis enchevêtré. L’habitat est dispersé, et la route qui va d’une maison d’artisan à l’autre est parfois difficile. Ce qui frappe au premier abord, c’est le degré de spécialisation des artisans. Dans telle maison, on pourra apprécier le travail de celui qui travaille le métal et façonne les différents gongs à partir d’objets en cuivre ou en bronze de récupération. Après avoir fait fondre le métal, il le plonge dans des moules grossiers, et c’est ensuite un travail minutieux, sur un tour rudimentaire, qui permet d’ajuster la tonalité obtenue lorsque l’on frappe avec le maillet sur la surface du métal. Les gongs ainsi façonnés pourront être réunis sur un cadre de bambou (fabriqué par un autre artisan) pour constituer les fameux « cercles de gongs », omniprésents dans les orchestres traditionnels. D’autres gongs seront simplement suspendus à une ficelle tenue à la main, et serviront à marquer le rythme des spectacles de chants et de danse. C’est également ce forgeron qui sera chargé d’ajuster la taille des petits disques de métal discrètement glissés sous les lames des xylophones pour régler leur tonalité.
Chez un autre artisan, on pourra observer la minutie apportée à la fabrication des simples maillets et baguettes qui servent à frapper la surface des gongs ou la peau des tambours. Chaque instrument nécessite un type différent de maillet, qui est bien plus qu’une simple baguette de bois. La tête des maillets utilise les matériaux (cuir, fils de coton plus ou moins grossiers, etc.) les mieux adaptés pour la matière que le maillet doit faire résonner. Les tambours sont également fabriqués par différents artisans, selon leur taille ou leur utilisation. Chez l’un, spécialisé dans la fabrication des tambours de petite taille, on pourra voir les fûts des tambours, façonnés dans un tronc d’arbre de petit diamètre, soigneusement décorés, à la surface vernie. Ce sont souvent des peaux de serpent qui seront utilisées pour constituer les membranes. Ces peaux sont d’abord simplement accrochées sous le toit pour être séchées à l’air libre. On peut en voir d’autres, déjà apprêtées, qui ont été découpées en disques et n’attendent plus qu’à être tendues sur les ouvertures des tambours.
C’est un autre artisan qui fabrique les tambours de grandes dimensions. Ces gros instruments sont taillés dans des troncs beaucoup plus ventrus. L’intérieur du fût est dans un premier temps évidé grossièrement à l’aide d’une tronçonneuse. C’est ensuite un travail minutieux de menuisier qui permet d’obtenir les surfaces interne et externe plus lisses. La membrane de ces grands tambours est quant à elle le plus souvent fabriquée à partir de cuir de vache tanné. Elle est fixée aux bords du tambour à l’aide de chevilles de bois ornées de clous de cuivre.
Des menuisiers auront quant à eux la responsabilité de façonner les armatures constituées de bambous et de tenons de bois qui servent de support aux cercles de gongs. Une observation rapprochée permet de constater que c’est là aussi un véritable travail d’orfèvre qui doit être mis en œuvre pour assembler les différents éléments qui composent ces armatures.
PS : Ang Snuol est aussi le lieu de naissance de Ouk Oum, plus connu sous le nom de Krom Ngoy (1865-1936), qui fut l’un des poètes les plus célèbres du Cambodge moderne, fut invité par le roi du Siam et honoré à la cour du Cambodge, et qui accompagnait ses récitations du « kse diev » (ou « sadiev »), constitué d’une coque façonnée dans une calebasse, d’un manche et d’un fil unique. Une statue de ce poète trône sur le principal carrefour de la localité.
Statue de Krom Ngoy
Texte et photographies par Pascal Médeville
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