Chanlina Vong a toujours aimé la langue française. C’est d’ailleurs grâce à sa maîtrise de la langue de Molière qu’elle a pu étudier la médecine à l’USS de 2002 à 2011, avant de faire son internat à Limoges. Elle travaille aujourd’hui à la clinique privée Khéma après avoir officié à l’hôpital Calmette en tant que hépato-gastro-entérologue.
CM : Où avez-vous grandi et quelle a été votre formation ?
Je suis née dans la province de Kampong Cham, mais nous avons déménagé à Phnom Penh quand j’avais sept ans. J’ai donc grandi ici, et passé mon baccalauréat. Au lycée, j’avais déjà deux ou trois heures de français par semaine. Initialement, je voulais être guide touristique ou professeur de français ! J’aimais déjà beaucoup la langue… J’ai eu une mention B au baccalauréat, qui m’a permis de passer le concours de médecine, mais pas celui de l’ITC. Ma famille m’a donc encouragée à poursuivre des études de médecine… Au début, j’ai trouvé cela très difficile. Mais après les études de médecine, il y a la possibilité de se tourner vers l’enseignement universitaire. Je me suis donc accrochée à cette idée et j’ai persévéré. Aujourd’hui, j’aime beaucoup mon métier !
CM : Vous êtes ensuite partie en France pour effectuer vos études…
J’ai poursuivi mes études de médecine à l’Université des Sciences de la Santé, entre 2002 et 2011… Je suis ensuite partie en stage à Limoges. Cette ville m’a beaucoup plu, car j’aime moins les grandes villes trop peuplées. J’y suis restée deux ans : normalement, la convention ne dure qu’un an, mais j’ai réussi à prolonger pour une seconde année !
CM : Quel est votre souvenir le plus marquant de ces deux années ?
Je me souviens particulièrement du premier jour où j’ai vu la neige. Nous sommes restés dehors une bonne partie de la nuit, avec quatre amis Cambodgiens, à s’émerveiller de la blancheur du paysage. J’ai aussi en tête un souvenir un peu moins positif, celui des trois heures de train qui reliaient Limoges à Paris, pour rejoindre l’aéroport et rentrer au Cambodge. J’ai pleuré pendant tout le trajet, en me disant que je n’aurais peut-être jamais l’occasion de revoir mes collègues avec qui j’avais passé de si bons moments et tant appris.
CM : Quelles étaient vos attentes, en partant ?
Je voulais me professionnaliser. Je voulais aussi étudier plus en profondeur ma spécialité, l’hépato-gastro-entérologie. Or au Cambodge, à mon époque, le matériel n’était pas très développé. Mais, en plus de ça, je voulais découvrir la culture française !
CM : Finalement, vos deux années ont-elles répondu à vos attentes ? Qu’en retenez-vous ?
Oui complètement !
« J’ai trouvé que les Français étaient moins arrogants que ce que l’on peut entendre dire, parfois. Ou, du moins, ils ne le sont pas tous ! J’ai par ailleurs appris à parler couramment la langue française, que je ne maîtrisais pas de manière fluide avant de partir »
Sur le plan professionnel, j’ai aussi acquis beaucoup de compétences. J’ai eu la possibilité d’avoir tout le matériel souhaité à disposition et de pouvoir pratiquer toutes les techniques que j’avais apprises de manière théorique en cours.
CM : Quels soutiens avez-vous obtenu dans votre projet ?
J’ai obtenu une bourse, en plus de mon salaire d’interne, pour mes deux années, dans le cadre du DFMS (Diplôme de formation médicale spécialisée).
CM : Parlez-nous de la coopération entre les deux pays dans les études de médecine…
Il y a beaucoup d’échanges entre les facultés des deux pays. Des étudiants français viennent ici en stages d’été. Les étudiants cambodgiens peuvent, eux aussi, partir en France, après les études spécialisées. Cependant, cela nécessite d’avoir un certain niveau de langue, le DELF B2, pour pouvoir comprendre et communiquer. Or, tous les étudiants en médecine ne l’ont pas. Je pense ainsi qu’il faut mettre l’accent sur l’étude du français.
« En effet, quand j’étais en première année de médecine, nous avions des cours de français matin et soir, alors que les matières techniques ne nous prenaient qu’un ou deux cours par semaine. Ainsi, nous apprenions à parler le français dans le cadre du domaine médical mais aussi à tenir une conversation quotidienne »
Aujourd’hui, les heures de français ont été drastiquement réduites. Je trouve cela dommage… La langue n’est plus autant nécessaire pour les étudiants, car on parle de plus en plus anglais, dans le domaine médical.
CM : Si le français n’est plus nécessaire, pourquoi trouvez-vous cela dommage que les cours soient réduits ?
Je pense que le français est une belle langue, qui dit beaucoup de choses. Par exemple, si je parle d’une “patiente”, l’on sait tout de suite que je veux parler d’une femme. Alors qu’en anglais, “a patient” a beaucoup moins de significations… Je trouve le français fleuri. C’est pour cela que cette langue m’a plu, dès le lycée.
CM : Pour revenir à vous, quelles opportunités professionnelles avez-vous eues en rentrant de France ?
J’ai commencé à travailler à l’hôpital Calmette dès mon retour, en 2013. Mon chef de service m’a encouragée à travailler en même temps à la faculté de médecine… Ce qui est très bien tombé, puisque j’avais toujours rêvé d’enseigner ! Je suis donc devenue assistante de recherche. Puis, en 2014, j’ai été nommée par le ministère de la Santé enseignante à la faculté, dans le programme commun de la faculté de médecine, ainsi que dans le programme international.
CM : Pouvez-vous expliquer ce qu’est ce programme international de l’USS ?
C’est un programme très récent, né en 2013 avec la coopération de la France et du docteur Thomas Fassier. Il travaille à Lyon. Avec lui, nous essayons de changer le programme de l’USS, qui donne encore une part trop importante aux cours magistraux. Il a donc aidé à élaborer ce programme international. Il est réservé aux étudiants de 4ème année ayant un bon niveau de français ou d’anglais. Les cours sont les mêmes que le programme habituel, mais les étudiants assistent une fois par semaine à une conférence interactive en français ou en anglais, dirigée par des professeurs venant de l’étranger.
« Cela permet de repenser les manières d’apprendre autour du “student best learning”. Les étudiants travaillent ensemble avec l’aide du professeur »
Il y a aussi des laboratoires de simulation à leur disposition : en petits groupes, les étudiants s’entraînent à jouer le rôle de médecin face à un patient, en réfléchissant au diagnostic. Ce cursus comporte donc beaucoup plus de pratique, intégrée à la théorie. Les étudiants, à la sortie de ce programme, ont plus d’opportunités de stages dans des pays anglophones ou en France.
CM : Quel est le rôle de la France et des pays anglophones dans ce programme ?
Ces pays apportent de l’expertise à travers les docteurs qui y participent, tels que le docteur Thomas Fassier. Ils aident aussi à former les intervenants de cette formation aux pratiques nouvelles.
CM : Au vu de votre parcours axé autour de l’étude du français, que voulez-vous transmettre de votre expérience aux jeunes étudiants en médecine ?
Malgré la globalisation qui se concentre majoritairement autour de la langue anglaise, je pense que les étudiants qui sont capables de parler français ont plus de chances d’aller effectuer des stages à l’étranger, puisque cela étend les possibilités de pays. Par ailleurs, beaucoup de documents dans les hôpitaux sont encore en français. C’est le message que j’essaye de faire passer aux étudiants que je rencontre à l’USS, notamment lorsque je donne des cours en français.
CM : Que pensez-vous de l’importance de la constitution d’un véritable réseau d’Alumni pour ceux qui, comme vous et d’autres étudiants en médecine, sont partis en France pour des stages ou des études ?
Je pense qu’à travers un tel réseau, nous pouvons partager notre expérience et montrer des modèles aux jeunes étudiants. Cela nous permet aussi, en tant que médecins, de garder une communication et d’échanger autour des bonnes pratiques. Je pense notamment qu’il serait nécessaire d’organiser des forums, tant pour échanger que pour aider les élèves à s’orienter et à choisir leurs stages.
Propos recueillis par Adèle Tanguy
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