Le Premier ministre Hun Sen est rentré au Cambodge ce samedi 8 janvier après un voyage au Myanmar durant lequel il a rencontré le général Min Aung Hlaing, président du Conseil d’administration de l’État.
Partager l’expérience
À plusieurs reprises, le chef du gouvernement Royal avait réfuté l’idée d’une « collusion » avec les militaires au pouvoir émise par les opposants à la visite de S.E.Hun Sen dans le pays. Pour le Premier ministre cambodgien, « alors que le Royaume a su rétablir la paix après plusieurs décennies de guerre civile, notre expérience pourrait bénéficier au Myanmar dont la crise s’enlise depuis février dernier », avait-il annoncé, mentionnant également qu’il était impératif que le pays ne soit pas soumis à des boycotts et que l’aide humanitaire puisse être distribuée correctement.
« Être contre l’aide au Myanmar, c’est vouloir voir les gens mourir de faim, ou périr en raison de l’absence de médicaments ou de vaccins Covid-19 » a posté hier le Premier ministre sur sa page Facebook, souhaitant ainsi répondre aux critiques qui ont précédé son périple birman.
En effet, cette situation a suscité plusieurs controverses entre les États membres de l’ASEAN. En réponse, S.E Hun Sen a réaffirmé que sa visite de deux jours au Myanmar avait pour seul et principal objectif de faire pression en faveur d’un cessez-le-feu prolongé dans le pays, de pouvoir faire fonctionner l’aide humanitaire et d’entamer un dialogue constructif pouvant déboucher sur la résolution de la crise.
Le Myanmar reste en proie à des troubles graves depuis que, le 1er février 2021, les militaires ont déclaré l’état d’urgence en raison « d’irrégularités perçues lors des élections générales de 2020 », et ont transféré les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif de l’administration civile au général Min Aung Hlaing, commandant en chef de la défense.
Au cours de leur rencontre, le général Min Aung Hlaing a confirmé à S.E. Hun Sen que la date limite de l’actuel « cessez-le-feu » avec les organisations ethniques armées avait été reportée au 31 décembre 2022. Le chef militaire a également indiqué qu’il soutenait la demande de S.E Hun Sen concernant la fourniture d’aide et a déclaré qu’il ouvrirait les portes au président de l’ASEAN et à son envoyé afin de pouvoir discuter avec les différents acteurs impliqués dans le conflit actuel.
Le ministre a qualifié la rencontre entre les deux dirigeants de « progrès » vers la mise en œuvre de la feuille de route en cinq points établie par les dirigeants de l’ASEAN en avril dernier et destinée à mettre fin aux troubles au Myanmar.
« Ce qui a été réalisé durant les discussions avec le dirigeant du Myanmar est très positif et c’est une étape pour faire avancer la mise en œuvre du consensus convenu par l’ASEAN », a déclaré S.E. Prak Sokhonn.
Origines
Rappelons qu’en février 2021, au deuxième jour du coup d’État organisé par les militaires sous le prétexte erroné de fraude électorale, des milliers de manifestants défilaient dans les rues de la capitale Yangon et d’autres protestations se répandaient dans tout le pays. Malgré arrestations, violences et plusieurs manifestants abattus par l’armée, les semaines suivantes ont vu une participation croissante du public.
Désespérées d’échapper à la violence, des centaines de familles ont fui le pays. Une ville entière de 12 000 habitants se serait quasiment vidée après des violences militaires. Des groupes d’aide, préoccupés par une crise humanitaire, se préparent à un afflux de réfugiés.
Position après le coup d’État
Le coup d’État avait été immédiatement condamné par le secrétaire général des Nations Unies et les dirigeants des nations démocratiques qui exigeaient la libération des dirigeants captifs et un retour immédiat à un régime démocratique. L’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, la Russie, le Vietnam, la Thaïlande, les Philippines et la Chine s’étaient abstenus de critiquer le coup et avaient encouragé une démarche de dialogue alors que la majorité des pays occidentaux et quelques autres nations asiatiques se disaient inquiètes et annonçaient leur intention de sanctionner le pays et de rompre relations diplomatiques et échanges commerciaux. Le Cambodge avait alors parlé prudemment à l’époque « d’affaire intérieure », mais c’était avant que les violences n’escaladent.
Motivations
Alors que les bruits de couloir rapportent que les militaires s’étaient largement assurés de leur bien être financier avant la transition démocratique en 2015 — on parle même de négociations discrètes avec Aung San Suu Kyi — les raisons du récent coup d’État restent obscures. Pour la presse occidentale, le coup pourrait être motivé par la volonté de l’armée de préserver son rôle central dans la politique birmane. Ce qui semble paradoxal, car l’armée du pays n’a jamais été particulièrement fidèle au pouvoir civil. L’autre raison évoquée serait le souhait de Min Aung Hlaing de se lancer en politique après sa mise à la retraite obligatoire de l’armée.
Or, la cinglante défaite des dernières élections aura probablement accumulé quelques nuages sur ses espoirs de reconversion. Aussi, selon Richard Lloyd du Times, « Le manque de pouvoir militaire ou civil de Hlaing l’aurait exposé à des poursuites et à des responsabilités potentielles pour des crimes de guerre présumés pendant le conflit des Rohingyas devant divers tribunaux internationaux ». Le groupe militant Justice for Myanmar a également relevé les intérêts financiers importants de Min Aung Hlaing et de sa famille, comme un facteur de motivation potentiel pour le coup d’État. Ce dernier supervise deux conglomérats militaires, la Myanmar Economic Corporation (MEC) et Myanma Economic Holdings Limited (MEHL), tandis que sa fille, son fils et sa belle-fille détiennent d’importantes affaires dans le pays.
Ceci pourrait donc expliquer cela et le pays se retrouve aujourd’hui dans une situation insurrectionnelle, avec une économie vacillante et des dirigeants relativement insensibles aux pressions occidentales et prêts à réprimer fermement toute protestation.
Intervention cambodgienne
La paix revenue demeure un argument récurrent dans les discours du Premier ministre cambodgien et il apparait clair que, alors que le Royaume assure la présidence de l’ASEAN cette année, qu’il souhaite jouer un rôle central dans la résolution du conflit birman. Ajoutons également que, selon une enquête toute récente des Nations, les troubles auraient plongé près de la moitié de la population dans la pauvreté, anéantissant les gains impressionnants réalisés depuis 2005.
L’analyse prévoit que 14,4 millions de personnes auront besoin d’une aide sous une forme ou une autre, soit environ un quart de la population : 6,9 millions d’hommes, 7,5 millions de femmes et cinq millions d’enfants. Enfin, l’ONU avance que situation politique et sécuritaire devrait « rester volatile » et une quatrième vague de COVID-19, en raison de taux de vaccination faibles et de l’émergence de nouvelles variantes, est considérée comme un risque croissant.
Le statu quo et des aides uniquement ponctuelles risquent de plonger le pays dans une crise profonde. L’intervention du Premier ministre cambodgien pourrait, malgré les critiques, enclencher un processus susceptible d’aller vers une solution pacifique. Mais cela reste au conditionnel.
Pour quelles raisons ?
D’abord, les dirigeants d’Asie du Sud-est se connaissent depuis de longues années et négocient à leur façon, parfois officiellement et souvent de manière discrète, avec des méthodes, un langage et des démarches bien éloignées des attitudes occidentales. En clair, un général birman sera probablement plus enclin à ouvrir des négociations avec ses « voisins-amis » qu’avec les grandes puissances. La menace du gel des avoirs birmans aux USA brandie par Joe Biden lors des premiers mois du conflit a bien montré que les menaces « traditionnelles » avaient peu d’effet. Ce n’est pas un plaidoyer, c’est une réalité.
D’autre part, les possibilités, même improbables, de conflit armé susceptible de déborder aux frontières pourrait constituer une menace sérieuse pour la stabilité de la région, ne serait-ce que par l’afflux de réfugiés fuyant le pays pour des raisons de sécurité, économiques et aussi sanitaires. Et, les tristes et dramatiques expériences passées constituent des arguments de poids que le chef du gouvernement Royal, n’a pas manqué, ne manque pas et ne manquera pas d’avancer.
La présence de S.E. Prak Sokhonn en sa qualité de nouvel envoyé spécial s’avère également un atout sérieux dans un processus de normalisation. Diplômé de l’Institut international d’administration publique et du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques (2001), c’est un diplomate de haut rang, éduqué et fort d’une longue expérience. C’est lui qui était parvenu à rallier le Myanmar, alors réticent à adhérer aux instances internationales, à la ratification du Traité d’Ottawa visant à éliminer les mines terrestres dans le monde.
À l’issue de leur rencontre, les deux leaders ont publié un communiqué commun exprimant le souhait d’une normalisation :
« Son Excellence le généralissime a également appelé toutes les parties concernées à accepter le cessez-le-feu dans l’intérêt du pays et du peuple, à mettre fin à tous les actes de violence et à faire preuve de la plus grande retenue, une démarche que le Premier ministre Samdech Techo a fortement soutenue en vue de désamorcer les tensions et de permettre un dialogue constructif entre les parties prenantes concernées pour parvenir à une paix durable et au développement national ».
En cela les semaines qui viennent seront déterminantes pour savoir si la volonté birmane est aussi sincère que le souligne ce communiqué.
Amorce de consensus
Pour des raisons géopolitiques et peut-être plus pragmatiques, le Cambodge, aujourd’hui patron de l’ASEAN, ne tient certainement pas voir son mandat perturbé par une crise humanitaire, économique et sanitaire ainsi qu’une guerre civile qui n’en finit pas. L’harmonie, la stabilité et la paix demeurent des arguments fréquemment avancés par le Premier ministre cambodgien lors de ses discours concernant l’accession du Royaume à la présidence de l’ASEAN. Et cela passe par la résolution du conflit birman. Il lui faudra passer aussi par l’exercice difficile de rallier les autres nations réticentes et favorables aux sanctions à sa volonté de dialogue ainsi qu’à persuader Min Aung Hlaing que la situation actuelle est tout simplement une bombe à retardement. Un autre exercice périlleux qui devra mener soit à un retrait du général de la vie publique, soit à un compromis avec les leaders issus des dernières élections, soit avec de nouvelles élections pour lesquelles il serait de bon ton d’envoyer des observateurs internationaux comme en 2015.
Pour l’heure, le militaire a accepté la prolongation du cessez-le-feu et, selon le communiqué officiel de la rencontre entre les deux leaders : « Les deux parties ont reconnu l’importance cruciale de la mise en place de mécanismes et d’installations appropriées pour le programme de vaccination COVID-19, ainsi que de la fourniture d’une aide humanitaire efficace aux personnes dans le besoin, sans discrimination, car rien n’est plus important que de sauver des vies ».
CG. Images AKP et R.Kelly
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